Le All India Muslim Personal Law Board (AIMPLB) a déposé, le mois dernier, une réplique au mémoire introductif d’instance (“preliminary affidavit”) présenté par le gouvernement central dans le cadre d’un lot de recours engagés devant la Cour suprême de l’Inde. Dans ce document, signé par Mohammed Fazrlurrahim, secrétaire général de l’AIMPLB, le conseil soutient que les récentes modifications introduites par la Waqf (Amendment) Act, 2025 — qui portent sur le statut et la gestion des waqf, ces fondations religieuses musulmanes — portent atteinte aux droits garantis par les articles 25 et 26 de la Constitution et ont été adoptées à l’issue d’un processus parlementaire défaillant.
Un contexte sensible
Les waqf, institués pour financer des écoles, des hôpitaux ou des œuvres sociales relevant de la communauté musulmane, relèvent d’un régime juridique particulier qui garantit aux fidèles le droit de conduire leurs affaires internes. Les requêtes devant la Cour suprême contestent les amendements de 2025 au motif qu’ils empiètent sur la liberté de culte et le droit des communautés religieuses à gérer leur patrimoine. L’AIMPLB, partenaire de plusieurs conseils waqf à l’origine de ces recours, dénonce en particulier le fait que le gouvernement n’ait pas réellement pris en compte les observations formulées lors des débats parlementaires.
La remise en cause du test des pratiques “essentielles”
Au cœur de la réplique figure une attaque frontale contre le « test des pratiques religieuses essentielles » (ERP – Essential Religious Practices test), que la Cour suprême applique traditionnellement pour déterminer si un rite ou une tradition doit bénéficier de la protection constitutionnelle. Selon l’AIMPLB, contraindre les pétitionnaires à démontrer qu’une pratique est « essentielle » revient à ignorer l’évolution récente de la jurisprudence, marquée par une approche fondée sur la protection de la dignité, de la liberté individuelle et de la vie privée plutôt que sur une grille d’analyse figée. Le conseil invoque à l’appui les arrêts K.S. Puttaswamy (droit à la vie privée, 2017) et Navtej Singh Johar (dépénalisation de l’homosexualité, 2018), qui ont, selon lui, consacré une lecture élargie des articles 14, 19 et 21 de la Constitution.
La critique du Joint Parliamentary Committee
L’AIMPLB reproche également au Joint Parliamentary Committee (JPC) chargé d’examiner le projet de loi d’avoir mené une « consultation rituelle » : absence d’examen clause par clause, mise à l’écart des voix dissidentes, documents cruciaux non partagés… Le conseil qualifie ce mode opératoire de simple « refuge procédural » pour le gouvernement, qui se contente de cocher des cases sans véritable échange démocratique. « Un JPC ne peut se résumer à une existence formelle : il doit entendre, écouter, écrire des rapports puis en tirer des conséquences », affirme la réplique.
Le rappel du rôle de la justice constitutionnelle
Sur le plan du contrôle juridictionnel, l’AIMPLB rappelle que ni la rigueur des débats parlementaires ni la constitution d’un JPC ne sauraient empêcher la Cour suprême d’exercer son pouvoir de censure. S’appuyant sur des arrêts antérieurs (notamment Raja Ram Pal v. Speaker, Lok Sabha, 2007, et Amarinder Singh v. Punjab Vidhan Sabha, 2010), le conseil souligne que « le contrôle juridictionnel fait partie de la structure fondamentale de la Constitution » et que l’examen de fond d’une loi prime toujours sur la simple régularité de son adoption.
Une opposition virulente de l’APCR
L’Association pour la protection des droits civils (APCR), qui défend la validité des amendements, a vivement réagi à la réplique de l’AIMPLB. Elle la qualifie de « trompeuse », de « surreptice » et d’« abus de procédure », estimant que le conseil n’a ni qualité à agir (locus standi), ni fondement factuel — aucun dommage concret n’étant porté à sa connaissance — et qu’il cherche à entretenir une narration communautaire infondée sur une prétendue spoliation des biens religieux hindous.
Enjeux et perspectives
La Cour suprême, qui n’a pas encore fixé de date pour l’audience des recours, doit désormais trancher sur la validité de la Waqf (Amendment) Act, 2025 — non seulement pour l’avenir des fondations waqf, mais aussi pour la définition même de la liberté religieuse en Inde. La décision à venir pourrait sceller la fin du test des pratiques essentielles ou, au contraire, réaffirmer son usage comme filtre constitutionnel pour toute réforme touchant aux affaires religieuses.
Un tournant pour la jurisprudence religieuse
Plus généralement, l’issue de cette affaire pourrait redessiner les contours de la relation entre le droit religieux et l’ordre constitutionnel indien. Si la Cour valide l’argument de l’AIMPLB, elle acterait une évolution vers une approche résolument fondée sur les droits fondamentaux et la dignité individuelle. Dans le cas contraire, elle maintiendrait l’importance du test ERP comme outil de régulation des pratiques religieuses, en dépit des revendications croissantes en faveur d’une interprétation plus dynamique de la Constitution.