
En Afrique du Sud, la Commission pour la promotion et la protection des droits des communautés culturelles, religieuses et linguistiques (CRL Rights Commission) ravive un débat sensible : faut-il réglementer les religions pour prévenir les abus ? Si l’objectif affiché est de protéger les fidèles contre les dérives de certains leaders religieux, les critiques pointent une menace sérieuse pour la liberté de religion, pourtant garantie par la Constitution sud-africaine.
En avril 2025, la CRL a annoncé la création d’un comité en vertu de l’article 22, chargé d’évaluer l’état des églises et de mettre en place un mécanisme d’examen par les pairs. Ce comité, composé de leaders religieux, devrait jouer un rôle clé dans l’élaboration de recommandations législatives visant à renforcer la supervision du secteur religieux.
Le vice-président de la CRL, Prince George Mahlangu, a précisé que cette initiative ne visait pas à contrôler la religion, mais à instaurer une forme de responsabilité comparable à celle d’autres professions. Cependant, cette démarche a suscité une vive opposition de la part de l’organisation Freedom of Religion South Africa (FOR SA), qui y voit une menace existentielle pour la liberté religieuse.
Michael Swain, directeur exécutif de FOR SA, a souligné que conférer à l’État le pouvoir de déterminer qui peut être leader religieux ou ce qui constitue une organisation religieuse légitime reviendrait à saper un principe démocratique fondamental. Il a également mis en garde contre les précédents dans d’autres pays africains, tels que le Rwanda, où des milliers de lieux de culte ont été fermés suite à des réglementations étatiques.
La CRL justifie ses propositions par la nécessité de protéger les croyants contre des individus exploitant la religion à des fins personnelles. Cependant, FOR SA argue que les lois existantes suffisent à poursuivre les criminels, quel que soit leur statut. Le véritable problème résiderait dans l’application de ces lois, et non dans leur absence.
En 2016, la CRL avait déjà présenté un rapport au Parlement intitulé « La commercialisation de la religion et l’abus des systèmes de croyance des personnes », mettant en lumière des actes criminels commis par certains leaders religieux et appelant à une intervention de l’État. Cependant, après des audiences parlementaires en 2018, la majorité des communautés religieuses sud-africaines s’étaient opposées à une régulation étatique, préférant développer leurs propres mécanismes d’autorégulation.
La réintroduction de cette proposition par la CRL, sous la direction de sa présidente récemment réélue, Thoko Mkhwanazi-Xaluva, suscite des inquiétudes quant à une éventuelle mainmise de l’État sur le secteur religieux. Des critiques soulignent que la CRL pourrait chercher à obtenir des pouvoirs discrétionnaires étendus, lui permettant de définir unilatéralement les structures et processus religieux, ce qui serait contraire à la liberté de religion.
En conclusion, si la protection des fidèles contre les abus est une préoccupation légitime, les moyens proposés par la CRL soulèvent des questions fondamentales sur la séparation entre l’État et la religion. Dans une démocratie constitutionnelle comme celle de l’Afrique du Sud, garantir la liberté de religion implique de veiller à ce que l’État n’empiète pas sur les affaires religieuses, sauf en cas de violation avérée des lois existantes.