Une décision inédite de l’assemblée plénière
Pour la première fois en assemblée plénière, la Cour de cassation a été saisie d’une question de principe concernant l’immixtion du juge civil dans les décisions de nature religieuse. Saisie d’un pourvoi formé par un ancien diacre de l’Église catholique, la haute juridiction a confirmé, à l’unanimité, son incompétence pour apprécier la régularité ou le bien-fondé de la révocation d’un ministre du culte opérée par une autorité religieuse légalement établie selon ses propres règles internes.
Cette décision solennelle – publiée au Bulletin et accompagnée d’un communiqué, d’un rapport du conseiller et d’un avis de l’avocat général, puis diffusée en direct – marque l’importance accordée à la séparation entre l’ordre judiciaire et l’organisation interne des cultes, conformément au principe « L’Église chez elle et l’État chez lui » de la loi du 9 décembre 1905.
Un cadre juridique renforcé par la laïcité et l’autonomie des cultes
La Cour s’appuie sur deux piliers juridiques : la laïcité issue de la Constitution et de la loi de 1905, et le principe d’autonomie des communautés religieuses dégagé par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle rappelle que le juge civil ne peut empiéter sur les décisions prises « en application des règles internes » par une autorité religieuse légalement constituée.
Ce positionnement est en parfaite cohérence avec l’arrêt de la Grande Chambre de la CEDH « Sindicatul ‘Păstorul cel Bun’ c. Roumanie » du 9 juillet 2013, selon lequel l’article 9 de la Convention garantit l’autonomie des communautés religieuses : l’État ne peut contraindre un culte à admettre ou exclure un membre contre sa volonté.
Retour sur les faits : l’affaire du diacre de Toulouse
L’ancien diacre, « dissident » pour avoir contesté plusieurs décisions canoniques, voit sa procédure d’ordination suspendue par l’archevêque de Toulouse le 13 décembre 2007, puis faire l’objet d’une sentence pénale ecclésiastique de renvoi de l’état clérical le 30 août 2011, confirmée par la Rote romaine le 22 juin 2015.
Un décret d’exécution du 26 février 2016 le prive de sa place au sein du clergé et des avantages liés à sa charge : logis, rémunération, couverture sociale. Après une assignation devant le tribunal de grande instance de Toulouse le 18 novembre 2016, il échoue en cassation d’appel le 2 février 2021 et se pourvoit devant la Cour de cassation.
Les attendus de principe : incompétence du juge civil
Dans son attendu de principe général, la Cour énonce solennellement : « Il n’appartient pas au juge civil d’apprécier la régularité ou le bien-fondé de la décision de nomination ou de révocation d’un tel ministre du culte prise par une autorité religieuse », cette dernière agissant « en application des règles internes qui la gouvernent ».
Le deuxième attendu pose le critère de la « défendabilité » des préjudices nés de l’arrêt de la prise en charge matérielle : si ces dommages ne sont pas détachables de la décision de révocation, ils ne constituent pas un « droit défendable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne, excluant ainsi toute indemnisation civile.
La question de l’indemnisation détachable : une exception notable
En ouvrant, de manière très encadrée, une exception, la Cour laisse entendre que le juge judiciaire pourrait être compétent pour connaître d’une demande d’indemnisation si le préjudice invoqué apparaît « détachable » de la décision de révocation. Cette nuance, certes restrictive, offre une voie de recours aux ministres de culte dont seuls les dommages strictement matériels et séparables des motifs religieux seraient susceptibles d’être réparés devant le juge civil.
Cette approche contraste avec l’appréhension stricte du juge dans les litiges autour de statuts religieux, mais reste fidèle à la ligne tracée par la CEDH qui n’interdit pas tout contrôle judiciaire, dès lors que l’objet du litige porte sur des questions purement civiles et économiques.
Portée jurisprudentielle et alignement avec la CEDH
En rappelant l’autonomie des communautés religieuses, la Cour de cassation s’inscrit dans une logique d’harmonisation avec la jurisprudence européenne : l’arrêt de 2013, déjà cité, constitue la référence majeure en la matière. La décision de 2025 marque une nouvelle étape, en étendant ce principe au contentieux interne des Églises, tout en précisant les contours de l’intervention possible du juge laïque.
Plus largement, elle témoigne de la consolidation d’une « zone d’immunité » autour des affaires strictement confessionnelles, distincte des litiges contractuels ou patrimoniaux où le juge civil demeure légitime pour sanctionner des manquements détachables du religieux.
Réactions et débats doctrinaux
Cette assemblée plénière a suscité de nombreux commentaires dans la doctrine et la presse spécialisée. Certains y voient la consécration d’une laïcité respectueuse de la liberté religieuse, tandis que d’autres craignent que ce bouclier ne protège trop largement des décisions potentiellement arbitraires au sein des organisations cultuelles.
Dans un article remarqué, le magazine Bitter Winter se félicite de l’alignement de la Cour avec la CEDH, estimant que le juge « ne peut s’immiscer dans un domaine protégé par la liberté de religion ou de conviction ».
Enjeux pour l’avenir des litiges religieux
L’arrêt du 4 avril 2025 pose un cadre jurisprudentiel fermement structuré : l’autonomie interne des cultes est consacrée, l’intervention judiciaire limitée à des préjudices matériels « détachables », et la CEDH sert désormais de boussole. Reste à voir comment les juridictions de fond qualifieront, à l’avenir, le caractère « détachable » des dommages invoqués.
Ce nouvel équilibre jurisprudentiel appelle les avocats et les autorités ecclésiastiques à clarifier leurs modalités de sanction et à dissocier rigoureusement les effets purement religieux de ceux relevant du droit civil, sous peine de voir leurs décisions écartées par le juge laïque.
En dotant les communautés religieuses d’une enceinte juridiquement préservée, la Cour de cassation a, en assemblée plénière, affirmé la force du principe de laïcité et de l’autonomie confessionnelle. Tout en ménageant une porte de sortie aux membres lésés par des sanctions détachables des motifs religieux, elle a réaffirmé la mission régalienne du juge laïque : garantir le respect des obligations civiles sans porter atteinte à l’indépendance interne des cultes.