En mai 2025, la rabbine Delphine Horvilleur, figure marquante du judaïsme libéral en France, a publiquement dénoncé la crise humanitaire en cours à Gaza, suscitant un vif débat tant au sein de la communauté juive que dans la société française au sens large. À travers une tribune publiée dans la revue Tenou’a, dont elle est rédactrice en chef depuis 2009, Delphine Horvilleur exprime une profonde inquiétude face à ce qu’elle décrit comme une « déroute politique et faillite morale » d’Israël. Sa voix, reconnue pour sa lucidité et son engagement humaniste, interpelle non seulement les consciences mais aussi l’histoire complexe de l’identité juive moderne.
Née en 1974 à Nancy, Delphine Horvilleur incarne une figure singulière dans le paysage religieux français. Après des études de médecine à l’Université hébraïque de Jérusalem, elle bifurque vers le journalisme, collaborant notamment avec France 2 et Radio Communauté Juive (RCJ). Sa quête spirituelle la mène ensuite à New York, où elle étudie au Hebrew Union College et devient, en 2008, l’une des rares femmes rabbines françaises ordonnées dans le courant libéral. De retour en France, elle rejoint le Mouvement juif libéral de France (MJLF), s’imposant rapidement comme une voix influente, appréciée pour sa capacité à articuler spiritualité et modernité, tradition et ouverture.
À travers Tenou’a, Delphine Horvilleur explore régulièrement les intersections entre judaïsme, société, féminisme, et éthique contemporaine. Ses ouvrages, comme « En tenue d’Ève » ou encore « Réflexions sur la question antisémite », sont autant de témoignages de son engagement à promouvoir un judaïsme inclusif, ouvert au dialogue interreligieux et soucieux des grands enjeux moraux de notre époque.
Dans cette perspective, son intervention concernant Gaza est particulièrement significative. Dans son texte intitulé « Gaza/Israël : Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire », elle exprime une douleur profonde devant les souffrances endurées par la population civile palestinienne, tout en affirmant avec force que son discours critique s’inscrit « par amour d’Israël ». Elle écrit notamment : « Aucun de nos morts n’est vengé par la famine d’un enfant. Aucun de nos blessés n’est soigné par l’humiliation d’un peuple. » Cette formulation incisive souligne clairement la position éthique qu’elle défend : ne jamais permettre que l’histoire tragique du peuple juif serve à justifier l’injustice ou le silence face à la souffrance d’autrui.
Cette prise de parole courageuse a suscité de nombreuses réactions, allant de soutiens chaleureux à des critiques parfois virulentes. Joann Sfar, célèbre dessinateur et intellectuel français, a salué le courage de Delphine Horvilleur et encouragé d’autres voix juives à se lever contre ce qu’il qualifie lui aussi d’injustifiable. Le débat autour de ses propos révèle les tensions internes à la communauté juive, prises entre solidarité indéfectible envers Israël et impératif moral universel qui dépasse les frontières politiques.
À travers son intervention, Delphine Horvilleur rappelle ainsi un élément fondamental du judaïsme libéral qu’elle incarne : l’éthique prime toujours sur l’allégeance nationale ou communautaire. Ce positionnement résonne profondément dans la tradition juive où l’obligation morale de protéger la vie humaine transcende toute autre considération. Il s’agit aussi d’un rappel puissant que le judaïsme contemporain est traversé par des courants très divers, du plus traditionnel au plus progressiste, chacun contribuant à façonner une identité juive complexe et plurielle.
En prenant position publiquement sur une crise aussi sensible, Delphine Horvilleur réaffirme avec force l’importance d’un judaïsme ouvert au monde, capable de dialogue et de remise en question permanente. Sa voix, chargée d’une autorité spirituelle et morale incontestable, invite à réfléchir sur le rôle essentiel que peuvent jouer les religieux dans les crises humanitaires contemporaines. Plus largement, elle pose une question universelle sur la responsabilité collective face à la souffrance humaine, et l’urgence d’une solidarité qui transcende les appartenances ethniques et religieuses.