Dans un contexte où les droits des mineurs et les interprétations du droit islamique s’entrechoquent, le Conseil de l’Idéologie Islamique (CII) du Pakistan a récemment émis un avis dénonçant comme « non conforme à l’islam » un texte législatif pourtant salué par de nombreux militants des droits de l’enfant. Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 23 mai 2025, la loi visant à criminaliser les mariages précoces dans le territoire fédéral d’Islamabad avait pour ambition de relever à 18 ans l’âge minimum du mariage pour les deux sexes, remplaçant un cadre légal hérité de l’époque coloniale britannique.
Ce projet, porté par la députée Sharmila Faruqui, prévoyait notamment des peines de prison allant jusqu’à sept ans pour quiconque faciliterait ou contraindrait un enfant à contracter une union — qu’il s’agisse de membres de la famille, de religieux ou des officiers d’état civil habilités à célébrer les noces. Désormais, tout rapport sexuel au sein d’une union impliquant un mineur, consentement ou non, serait assimilé à un viol statutaire, tandis qu’un homme adulte épousant une fille risquerait jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
Pourtant, lors de sa 243ᵉ session tenue du 27 au 28 mai 2025 à Islamabad, le CII a estimé que les clauses stipulant la fixation de l’âge limite du mariage et la qualification du mariage d’un mineur comme maltraitance ne « conforment pas aux injonctions islamiques ». Dans un communiqué publié par son service de presse, le Conseil a souligné que, selon lui, les prescriptions de la Charia n’établissent pas d’âge minimal uniforme de 18 ans pour l’homme et la femme, et que toute législation allant au-delà de cette norme traditionnelle dénaturerait l’esprit de la Loi divine.
Cette décision intervient alors que, selon le Pakistan Demographic and Health Survey 2018, près de 29 % des filles sont mariées avant 18 ans dans l’ensemble du pays, et 4 % avant 15 ans, contre 5 % pour les garçons, d’après la coalition Girls Not Brides. Le Pakistan figure parmi les dix pays affichant le nombre absolu le plus élevé de femmes unies avant leur majorité. Dans certaines régions rurales, comme le Sindh, où l’image d’août 2024 d’une jeune mariée monsoon bride illustre ces coutumes — deux sœurs, Shamila et Salma Zameer, épousées alors qu’elles n’étaient pas majeures, ont été photographiées dans le village de Khan Muhammad Mallah —, la tradition matrimoniale précoce reste profondément ancrée.
Les statistiques révèlent que les jeunes filles mariées sont moins susceptibles de poursuivre leur scolarité et plus exposées aux violences domestiques, aux abus et aux problèmes de santé. Le risque de complications lors de la grossesse est élevé : fistules obstétricales, infections sexuellement transmissibles, voire décès maternel ; les adolescentes présentent un taux de mortalité obstétricale supérieur à celui des femmes dans la vingtaine. Conscients de ces dangers, plusieurs acteurs de la société civile avaient salué le projet de loi comme une avancée inédite pour la protection des droits des enfants, estimant qu’il permettrait de briser le cycle de la précocité matrimoniale et de ses conséquences dramatiques.
Cependant, pour le CII, la portée religieuse du mariage ne se limite pas à un simple calcul d’âge. Dans la tradition islamique, la puberté est souvent considérée comme un critère déterminant, conditionnant la capacité de contracter légalement une union. Les savants qui composent le Conseil ont ainsi jugé que la législation, en imposant un seuil absolu de 18 ans, outrepasse l’interprétation classique de la Charia. À leurs yeux, la loi fédérale doit tenir compte des prescriptions scripturaires et jurisprudentielles plutôt que d’adopter une norme qui, selon eux, relèverait davantage d’une imposition occidentale que d’une règle religieuse authentique.
Face à cette remise en cause, les défenseurs du texte rappellent que la législation coloniale prévoyait déjà 16 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons, mais que ces dispositions datent d’une époque où la question du consentement et des droits de l’enfant était perçue différemment. La nouvelle mouture, expliquait-on à l’Assemblée nationale, visait à donner à chaque jeune l’opportunité de terminer ses études et de se développer physiquement et psychologiquement avant d’entamer une vie conjugale. Selon certains spécialistes du droit pakistanais, l’ancien cadre législatif laissait des zones d’ombre facilitant l’exploitation des mineurs, notamment dans les zones rurales où les autorités peinaient à faire appliquer les contrôles.
Pour l’heure, le président du Pakistan doit encore apposer sa signature au bas du texte, mais cette étape constitutionnelle prend désormais un tour plus incertain : le CII n’a pas force de loi, mais son avis peut peser dans le processus d’approbation finale. Les forces politiques religieuses, déjà mobilisées contre ce qu’elles considèrent comme un recul de la loi coranique, pourraient faire pression pour que l’exécutif attende une révision du projet. Les ONG de défense des droits humains, en revanche, craignent un affaiblissement durable de la démarche de lutte contre les mariages précoces, relevant que la seule délimitation de l’âge ne s’accompagne pas toujours d’opérations de sensibilisation ou de soutien aux familles les plus démunies.
Au-delà du seul débat islamique, ce bras de fer entre modernisation juridique et préservation des préceptes religieux reflète une tension plus vaste au Pakistan, où le rôle de l’État et des institutions religieuses dans la gouvernance demeure au cœur des discussions. Pour beaucoup d’observateurs, l’enjeu est de taille : il s’agit de concilier la lutte pour l’épanouissement des femmes et l’enfance avec une interprétation de la loi divine jugée stricte. Dans un pays où la démographie et la pauvreté s’entrelacent, la question des mariages d’enfants renvoie également à la responsabilité collective de garantir la protection des plus vulnérables, au-delà des querelles doctrinales.
Alors que le pays compte toujours un pourcentage élevé de mariages précoces et que leurs conséquences sanitaires et socio-économiques pèsent lourd sur les familles, la décision finale de l’exécutif pakistanais sera scrutée de près. Elle pourrait constituer un signal fort, soit d’un nouvel équilibre entre droit civil et droit religieux, soit d’une affirmation accrue du Conseil de l’Idéologie Islamique face à toute tentative de réforme susceptible d’ébranler l’interprétation traditionnelle de la Charia. Quelle que soit l’issue, la question du mariage d’enfants au Pakistan soulève des enjeux profonds sur l’évolution de la société, la place de la femme et la capacité du législateur à protéger les droits fondamentaux dans un cadre culturel et religieux complexe.