Dans un contexte juridique et social particulièrement contraignant, un jugement prononcé le 1er juillet 2025 par la Haute Cour de Lahore marque un tournant inédit au Pakistan. Pour la première fois, un tribunal a ordonné à l’Autorité nationale des bases de données (NADRA) de modifier la mention de la religion d’une personne convertie de l’islam au christianisme sur sa carte d’identité nationale.
Tabish N., aujourd’hui mariée à un catholique, a entamé en 2008 sa conversion peu avant son mariage. Malgré quinze ans d’attente, son identité officielle continuait de la désigner comme musulmane. Ce décalage administratif a généré des discriminations multiples : difficultés pour inscrire les enfants aux examens, pression familiale et ostracisme social.
Le recours en justice a mobilisé l’organisation Christian Solidarity International (CSI), qui a fourni une assistance juridique tout au long du dossier. À l’issue d’un combat de 17 ans, la cour a donné raison à Tabish et ordonné la modification de sa carte, mentionnant désormais sa foi chrétienne ainsi que son union avec un conjoint chrétien.
Ce jugement s’appuie sur l’article 20 de la Constitution pakistanaise, qui garantit « le droit de professer, pratiquer et propager sa religion ». Il constitue un précédent : jamais auparavant un tribunal n’avait statué en faveur d’un converti renonçant à l’islam sur ses papiers d’identité. Jusqu’ici, la majorité des cas de conversion sont juridiquement entérinés lorsque la conversion est vers l’islam, mais un moudaware (sujet musulman) ne peut rétroactivement changer sa mention religieuse, conformément à l’interprétation conservatrice de la loi pakistanaise.
Les enjeux dépassent ce cas isolé. Au Pakistan, les minorités religieuses, notamment chrétiennes et hindoues, sont fréquemment victimes de conversions forcées ou d’enregistrements falsifiés. Un autre cas emblématique évoqué concerne Sufyan Masih, un travailleur chrétien retenu chez un employeur musulman qui l’avait frauduleusement inscrit en tant que musulman sur son identité. Après six ans de procédure, un tribunal de Pattoki a finalement rétabli sa religion, reconnaissant la conversion comme manipulée. Ce cas rappelle l’existence d’un système administratif souvent instrumentalisé contre les minorités.
De surcroît, le Pakistan connaît une forte pression sociale et juridique sur les personnes considérées comme apostates, malgré l’absence de loi explicitement criminalisant l’apostasie. Les lois sur le blasphème (article 295-A et suivants) engendrent une atmosphère de peur, et des réactions violentes peuvent suivre en cas de conversion visible hors de l’islam.
Tabish N. a salué le jugement comme une “lumière d’espoir” pour sa famille, notamment pour ses enfants qui pourront désormais avoir une identité administrative cohérente. Dans un pays où la communauté chrétienne représente environ 1,4 % de la population (3,3 millions en 2023), majoritairement en province de Punjab, cette décision pose les jalons d’un changement, lent mais réel.
Cependant, la voie reste semée d’obstacles : résistances institutionnelles, répression sociale et application fluctuante du droit. La vigilance internationale, notamment à travers les pressions de l’Union européenne sur le respect des droits fondamentaux, reste un levier essentiel pour garantir que ce verdict ne demeure pas un simple geste isolé, mais bien un tournant juridique et sociétal plus profond.