Aux Émirats arabes unis, le discours officiel est clair : le pays entend éradiquer toute forme d’extrémisme religieux. Pourtant, plusieurs organisations de défense des droits humains et des observateurs indépendants dénoncent une dérive inquiétante, où la lutte contre l’extrémisme servirait avant tout à resserrer l’étau sur les libertés religieuses et politiques.
Depuis plusieurs mois, les autorités ont renforcé leur contrôle sur les activités religieuses, notamment au sein des mosquées. Selon plusieurs témoignages relayés par des médias d’opposition, les sermons des imams sont strictement surveillés et doivent être conformes aux orientations officielles. Toute activité religieuse ou éducative qui n’aurait pas reçu l’aval préalable de l’État est désormais passible de lourdes sanctions. Cette politique a été confirmée par Omar Al-Darei, président de l’Autorité générale des affaires islamiques, des dotations et de la zakat (l’aumône légale obligatoire en islam), qui a rappelé que toute infraction serait sévèrement punie, qu’elle ait lieu dans un lieu public, en privé, ou même en ligne.
Cette approche s’inscrit dans un contexte plus large : celui de l’utilisation des lois antiterroristes pour réduire au silence toute voix dissidente. Déjà en 2014, les Émirats avaient promulgué une loi antiterroriste aux contours suffisamment vagues pour englober aussi bien de véritables menaces que des opinions dissidentes. À travers cette législation, un simple message WhatsApp, une affiliation à un groupe sur les réseaux sociaux ou un propos jugé critique peuvent suffire à faire l’objet d’une accusation de terrorisme.
Cette instrumentalisation du cadre antiterroriste s’est illustrée dans plusieurs procès massifs. Parmi eux, celui connu sous le nom de « UAE 84« , dans lequel 84 militants et opposants politiques ont été poursuivis pour des accusations liées au terrorisme. Dans de nombreux cas, les procédures judiciaires ont été dénoncées par des organisations internationales pour leur manque d’équité : aveux extorqués sous la torture, procès inéquitables, absence d’accès à des avocats indépendants.
Les experts de l’ONU n’ont pas manqué d’alerter sur ces dérives. Plusieurs rapporteurs spéciaux ont souligné que l’arsenal antiterroriste des Émirats est utilisé de manière disproportionnée contre la société civile. Ils pointent également du doigt le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, largement subordonné au pouvoir exécutif. Les conséquences de cette dépendance sont graves : emprisonnements arbitraires, disparition forcée de militants, harcèlement judiciaire contre les familles d’opposants.
Dans le même temps, les autorités émiriennes soignent leur image à l’international. Le pays multiplie les initiatives mettant en avant la tolérance religieuse : création de l’Institut international pour la tolérance, organisation d’événements interreligieux, promotion d’un islam « modéré » censé servir de modèle. Abou Dhabi accueille ainsi régulièrement des conférences et des forums destinés à présenter le pays comme un bastion de la coexistence pacifique au Moyen-Orient.
Pourtant, sur le terrain, la réalité semble plus contrastée. Le modèle de « tolérance » promu par les autorités impose en fait une uniformisation du discours religieux, excluant toute expression qui ne s’alignerait pas strictement avec la ligne officielle. Des initiatives communautaires indépendantes sont découragées ou interdites. Quant aux minorités religieuses, si certaines bénéficient d’une relative liberté formelle, elles restent sous étroite surveillance.
Les critiques estiment que ce double discours masque une stratégie de contrôle social approfondi. En neutralisant tout espace de débat religieux autonome, les autorités s’assurent de réduire les risques de contestation politique. Sous prétexte de lutter contre les dérives extrémistes, l’État émirien aurait ainsi bâti un système dans lequel la pratique religieuse n’est possible qu’à condition de se soumettre totalement à la vision imposée par le pouvoir.
Alors que les Émirats poursuivent leur ascension sur la scène diplomatique internationale, ces dérives suscitent une préoccupation croissante parmi les défenseurs des droits humains. Le risque, soulignent-ils, est de voir se consolider un modèle où la lutte contre le terrorisme, loin de garantir la sécurité, sert à étouffer la diversité des pensées et des croyances.