Au cœur de la vibrante East Bay californienne, le Jerusalem Coffee House, établissement tenu par Fathi Abdulrahim Harara et la société Native Grounds LLC, se retrouve au centre d’une affaire juridique inédite. Le 9 juin 2025, le ministère de la Justice des États‑Unis (DOJ) a intenté un procès contre le café pour violation de l’article II du Civil Rights Act de 1964, qui interdit la discrimination religieuse dans les lieux ouverts au public.
Selon la plainte officielle, détaillée dans un communiqué et transmise au tribunal fédéral de la Northern District of California, deux incidents se sont déroulés à l’été et à l’automne 2024. Lors du premier, un client juif portant une casquette frappée d’une étoile de David aurait été prié de quitter les lieux par M. Harara ou des employés. Celui-ci lui aurait lancé : « Tu es le gars avec la casquette. Tu es juif. Tu es sioniste. On ne te veut pas dans notre café. Pars. » Un autre événement, quelques mois plus tard, impliquait un homme et son fils de cinq ans, également montrant une étoile de David sur sa tenue. Harara l’aurait accusé de soutenir le « génocide » et de faire du « trespassing », avant d’appeler la police d’Oakland, laquelle a qualifié l’incident de « hate incident » selon le rapport.
Mais la plainte va au-delà : le DOJ pointe une stratégie de provocation symbolique, notamment des menus introduisant deux boissons controversées — « Iced In Tea Fada », évoquant « intifada », et « Sweet Sinwar », en référence à Yahya Sinwar, l’un des leaders du Hamas, coïncidant avec l’anniversaire des attaques du 7 octobre 2023. De plus, sur un mur extérieur, des triangles rouges inversés — signes perçus comme élémentaires dans des attaques antisémites — auraient été visibles.
Sous la bannière du Civil Rights Act de 1964, le département fédéral peut exiger du salon de thé des injonctions pour modifier ses pratiques discriminatoires. Toutefois, les victimes ne pourront pas réclamer de dommages‑intérêts pécuniaires. Saisie par ce dossier, l’antenne dédiée aux droits civiques — dirigée par Harmeet K. Dhillon — réaffirme « l’illégalité, l’intolérable et le répréhensible » d’un refus de service fondé sur la religion.
Sur le plan religieux, cet épisode résonne comme un révélateur des tensions persistantes entre liberté d’expression et manifestation d’intolérance communautaire ou religieuse. La justice américaine est désormais appelée à statuer : un commerçant peut-il personnaliser son message sans franchir la ligne de la diffamation religieuse ?
En parallèle du procès fédéral, plusieurs démarches civiles ont été initiées. En mars 2025, le Louis D. Brandeis Center for Human Rights Under Law a porté plainte au nom de Jonathan Hirsch, expulsé avec son fils en octobre 2024, alléguant la violation de l’Unruh Civil Rights Act californien. Par ailleurs, l’Anti‑Defamation League (ADL), en partenariat avec le cabinet Benesch, Friedlander, Coplan & Aronoff LLP, a engagé une action fédérale en février 2025 pour le compte de Michael Radice, lui aussi refoulé deux fois à cause de sa casquette à étoile de David.
Ces initiatives illustrent la mobilisation d’ONG juives pour défendre les droits fondamentaux dans le contexte d’une montée des actes antisémites, tandis que l’administration Biden incarne une posture ferme contre toute « hostilité religieuse ».
Le Jerusalem Coffee House est maintenant sommé de repenser ses pratiques commerciales, notamment via l’interdiction de refuser un client pour cause religieuse ou de diffuser des messages haineux. Plus largement, ce procès pose la question de savoir si l’expression politique d’un commerce, par le choix de noms de produits ou de symboles, peut s’extraire de ses responsabilités sociales.
Le tribunal fédéral devra aussi examiner l’équilibre entre liberté d’expression, droit de pression politique et obligations non discriminantes dans l’espace public. La décision à venir aura un retentissement national, rappelant que les entreprises ont des devoirs, surtout dans un pays où la diversité religieuse consiste en un pilier constitutionnel.