Depuis dix ans, un glissement discret mais significatif modifie la géographie religieuse mondiale : le nombre de pays à majorité chrétienne est en recul. Selon le rapport publié le 29 juillet 2025 par le Pew Research Center, sur 201 pays et territoires étudiés, 120 étaient chrétiens majoritaires en 2020, contre 124 en 2010. Autrement dit, quatre États ont perdu ce statut au cours de la décennie, et la proportion de pays chrétiens est passée de 62 % à 60 % du total.
Ce reflux s’inscrit dans un contexte plus vaste de recomposition religieuse. Même si le nombre total de chrétiens est passé de 2,1 milliards en 2010 à 2,3 milliards en 2020 (+6 %), leur poids relatif dans la population mondiale a diminué, la part chrétienne chutant de 31 % à 29 %. À l’opposé, l’islam a connu la croissance la plus rapide : +347 millions de fidèles, soit une progression de 23,9 % à 25,6 % de la population mondiale. Quant aux personnes « non affiliées » à une religion, elles augmentent de façon notable : +270 millions pour une part passant de 23,3 % à 24,2 %.
Mais le phénomène qui a fait basculer quatre pays hors de la majorité chrétienne est moins démographique que comportemental. Ce sont les cas de switching religieux — c’est‑à‑dire le passage de l’affiliation chrétienne à l’absence de religion, d’athéisme ou d’agnosticisme — qui ont joué un rôle décisif. Ce phénomène est particulièrement répandu chez les jeunes adultes : selon les données Pew, pour chaque personne convertie au christianisme, environ trois abandonnent la religion chrétienne. Ce mouvement s’est avéré suffisant pour faire perdre leur majorité chrétienne à certains États.
Parmi les quatre pays concernés, trois voient leur composition religieuse se fragmenter : au Royaume‑Uni, les chrétiens représentaient seulement 49 % de la population en 2020, relégués derrière un tissu religieux composite ; en Australie, cette part est tombée à 47 %, tandis qu’en France, elle s’élevait à 46 %, reflétant une montée de l’incroyance et des affiliations pas ou peu religieuses. Le cas de l’Uruguay est encore plus saillant : les non affiliés constituent 52 % de la population en 2020, alors que les chrétiens n’atteignent que 44 %, ce qui fait de l’Uruguay le seul pays d’Amérique à dépasser la barre des 50 % pour les non‑affiliés.
Parallèlement, le nombre de pays à majorité religieusement « non affiliée » est passé de 7 en 2010 à 10 en 2020, ces majorités se trouvant désormais aux Pays‑Bas (54 %), en Nouvelle‑Zélande (51 %) et en Uruguay (52 %). Ces pays ont rejoint sept autres dont la majorité non religieuse était déjà établie en 2010 : la Chine, la Corée du Nord, la République tchèque, Hong‑Kong, le Vietnam, Macao et le Japon.
Ces évolutions s’inscrivent dans un tournant global. D’une part, la croissance rapide du nombre de musulmans (liée à une population plus jeune, des taux de fécondité plus élevés et des niveaux plus faibles d’abandon religieux) a rapproché les deux grandes religions : à la fin de la décennie, la différence entre chrétiens (28,8 %) et musulmans (25,6 %) est d’à peine 3,2 points. D’autre part, le poids croissant des « nones » — malgré leur désavantage démographique du fait d’un âge moyen plus élevé et d’une fertilité plus faible — a été porté par l’abandon large du christianisme.
En détail, dans certaines régions, le nombre absolu de chrétiens a diminué. C’est le cas en Europe, où leur population a reculé de 9 %, et en Amérique du Nord, avec un recul de 11 % — tandis que dans toutes les autres régions, la population chrétienne a augmenté, notamment en Afrique subsaharienne, où elle a cru de 31 % pour atteindre 697 millions. Ce déplacement marque un transfert des centres de gravité du christianisme : l’Afrique subsaharienne devient la région la plus peuplée en chrétiens (31 % du total mondial), dépassant l’Europe (22 %).
Quelles perspectives tirer de ces constats ? Le rapport souligne que, si les tendances démographiques et les dynamiques de « switching » persistent, l’islam pourrait devenir la religion majoritaire mondiale dans un futur proche, convergence vers laquelle une nouvelle phase du projet de projection démographique Pew est déjà engagée. Toutefois, les auteurs soulignent la complexité de ces trajectoires, liées notamment aux comportements des jeunes générations, à la sécularisation dans les sociétés occidentales, et à la vitalité démographique des régions non occidentales.
La diminution du nombre de pays à majorité chrétienne, bien que modeste en chiffres absolus, illustre un phénomène social majeur : un affaiblissement symbolique du christianisme comme force politique et culturelle dans certaines nations occidentales. Dans un monde où la croissance religieuse est de plus en plus façonnée par les interactions entre démographie, migration, identités et renouveau spirituel, ces quatre pays perdant leur majorité chrétienne témoignent d’un changement qui dépasse les simples statistiques.