Du 27 au 29 octobre 2025, l’Université Pontificale Grégorienne (Pontificia Università Gregoriana) a ouvert ses portes à Rome pour une conférence internationale destinée à « repenser » Nostra aetate soixante ans après sa promulgation (Nostra Aetate, promulguée en 1965 lors du Concile Vatican II, est la déclaration du pape Paul VI sur les relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes. Elle affirme le respect et la dignité de toutes les traditions religieuses, rejette toute forme d’antisémitisme et d’hostilité envers les autres croyances, et encourage le dialogue et la coopération entre religions pour promouvoir la paix et la compréhension mutuelle. Elle marque un tournant majeur dans la manière dont l’Église catholique aborde les relations interreligieuses, en reconnaissant la valeur spirituelle et morale des autres traditions). Sous le titre général Vers l’avenir : repenser Nostra Aetate aujourd’hui (Towards the Future: Re-Thinking Nostra Aetate Today), universitaires, théologiens et praticiens du dialogue interreligieux ont confronté le legs conciliaire aux réalités d’un monde profondément transformé — pluralisme religieux accentué, mouvements migratoires, fractures géopolitiques et nouveaux défis éthiques. L’événement, organisé par le Cardinal Bea Centre for Judaic Studies et le Gregorian Centre for Interreligious Studies, a alterné communications historiques, panels thématiques (judéo-chrétien, islamo-chrétien, traditions d’Asie, enjeux de jeunesse) et ateliers appliqués cherchant la traduction concrète du principe-dialogue en projets communs.
Les participants — représentants d’Églises chrétiennes (catholiques, orthodoxes, diverses familles protestantes), juifs, musulmans, hindous, bouddhistes et d’autres traditions spirituelles — ont insisté sur la double nature du document : mémoire d’une rupture avec l’antijudaïsme et impulsion d’une « culture de rencontre ». Plusieurs organisations interreligieuses présentes ont réaffirmé leur rôle de relais entre la réflexion académique et l’action sociale : KAICIID a détaillé sa contribution aux processus de formation et de prévention des enjeux religieux instrumentalisés, Religions for Peace Europe a annoncé la poursuite de coopérations régionales, et l’United Religions Initiative (URI) a confirmé sa présence et son implication dans les réseaux de base animés par des acteurs locaux. Ces acteurs ont insisté sur la nécessité d’outils concrets — curricula, programmes pour la jeunesse, plateformes de médiation — capables de faire aboutir les propos savants en projets perceptibles sur le terrain.
La tonalité académique n’a pas masqué l’urgence politique. Dans les débats, le souvenir de l’origine de Nostra aetate — réponse, après la Shoah, au problème du rapport de l’Église au judaïsme — a servi de grille de lecture pour des questions actuelles : la recrudescence d’actes antisémites dans plusieurs pays, la stigmatisation de minorités religieuses, et la tentation d’employer la religion comme justification de violences. Les intervenants ont combiné hommage historique et analyse critique : Nostra aetate n’est pas seulement une date à commémorer, c’est un principe à mettre en œuvre, ont-ils répété, exigeant formation, courage institutionnel et dispositifs de coopération interconfessionnelle.
La célébration — salle Paul VI

Le 28 octobre au soir, la salle Paul VI du Vatican a accueilli la grande veillée publique intitulée « Marcher ensemble dans l’espérance » (traduction de Walking Together in Hope). Organisée par le Dicastère pour le Dialogue Interreligieux et la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, la cérémonie a rassemblé, sous la présidence du Pape Leo XIV, délégations et responsables religieux venus des quatre coins du monde et représentants d’institutions interreligieuses (parmi lesquelles KAICIID, Religions for Peace et l’United Religions Initiative). L’événement, formel et sobre, alternait interventions, prières et moments de salutation interconfessionnels, dans une volonté explicite de faire de la salle Paul VI un lieu de visibilité pour le dialogue.
Le discours du Pape, prononcé à cette occasion, a été au cœur de la soirée. Fidèle à son style pastoral, il a rappelé que « soixante ans auparavant, une graine d’espérance pour le dialogue interreligieux fut semée » et que cette graine « s’est muée en un arbre puissant » dont les branches offrent « abri, compréhension, amitié, coopération et paix ». Il a insisté sur le caractère non-conciliant du dialogue : « nous marchons ensemble non pas en compromettant nos croyances, mais en restant fidèles à nos convictions ; le véritable dialogue commence non par le compromis, mais par la conviction ». Ces formulations, largement reprises par les observateurs, ont servi à poser la ligne : dialogue ferme et fraternité active, et non dilution des identités.
La diversité rituelle et symbolique visible dans la salle Paul VI — lectures juives, prières musulmanes, invocations hindoues, chants bouddhistes, tradition liturgique chrétienne et interventions de responsables orthodoxes et protestants — a concrétisé le message : la commémoration n’était pas seulement un discours sur le dialogue, mais une démonstration pratique de coexistence liturgique et de respect mutuel. Les organisations invitées ont offert des interventions et témoignages, rappelant que la coopération interinstitutionnelle passe aussi par des projets partagés : prévention de la haine, éducation à la paix, initiatives pour la jeunesse. Les observateurs soulignent toutefois que, si la symbolique est forte, la traduction en engagements politiques et financements structurés demeure le véritable test à venir.
L’audience générale

Le 29 octobre, la commémoration a trouvé sa traduction la plus publique dans l’audience générale donnée par le Pape Leo XIV Place Saint Pierre au Vatican. Dans sa catéchèse, le Pape a relié l’esprit de Nostra aetate à des images évangéliques de rencontre et d’échange — appelant à raviver « cette espérance » dans un monde frappé par la guerre, la dégradation environnementale et la polarisation. Il a explicitement réaffirmé la condamnation de l’antisémitisme et la nécessité d’une coopération entre confessions pour défendre la dignité humaine et la paix. Les mots du Pape, repris par les médias internationaux, ont été perçus comme un rappel pastoral autant que politique : l’Église doit continuer d’être un acteur de médiation morale dans un contexte international tendu.
L’audience, qui a rassemblé fidèles, délégations religieuses et observateurs internationaux, a également offert des scènes de fraternité publique — salutations entre responsables juifs, musulmans, sikhs, bouddhistes, hindous, scientologistes, chrétiens orthodoxes, protestants et catholiques — et des gestes symboliques de réconciliation. La présence active d’organisations interreligieuses dans la délégation (Religions for Peace, KAICIID, URI) a été remarquée ; leurs représentants ont accueilli les paroles papales comme une réaffirmation institutionnelle du dialogue tout en soulignant la nécessité d’un suivi opérationnel : réseaux de médiation, formation contre les discours de haine, coopération territoriale. Les observateurs juifs et musulmans présents ont salué l’effort de visibilité, même si certains commentaires ont rappelé que les tensions internationales, notamment au Proche-Orient, continuent de peser sur les relations interconfessionnelles et exigent des politiques soutenues et constantes, au-delà des gestes publics.

Ces trois journées à Rome ont ainsi combiné mémoire, parole publique et travail académique : l’Université Pontificale Grégorienne a fourni l’outillage conceptuel et les réseaux savants, la salle Paul VI a offert l’espace symbolique d’un « vivre ensemble » concret, et l’audience générale a porté la commémoration dans la sphère publique mondiale. La présence conjointe de délégations juives, musulmanes, hindoues, bouddhistes, orthodoxes, protestantes et d’organisations interreligieuses — KAICIID, Religions for Peace, URI — a confirmé que Nostra aetate demeure une référence partagée, tout en posant la question centrale des mois à venir : comment transformer cette visibilité et cette parole commune en dispositifs durables qui protègent les minorités, combattent l’antisémitisme et favorisent la paix dans un monde où la religion continue parfois d’être instrumentalisée ? Rome a montré la volonté ; il appartient désormais aux institutions, aux organisations de terrain et aux communautés religieuses de conjuguer parole et action.

