C’est à Lisbonne, en marge du dixième anniversaire du KAICIID International Fellows Programme, que s’est scellée, au début de décembre, une étape nouvelle dans l’histoire des dialogues interreligieux contemporains : la signature d’un Memorandum of Understanding (MoU, un protocole d’accord) entre le International Dialogue Centre – KAICIID et la United Religions Initiative (URI) qui, par-delà les différences de statut et d’approches, mettent en commun leurs forces pour relancer la coopération spirituelle et sociale sur la scène mondiale.
Le KAICIID — King Abdullah bin Abdulaziz International Centre for Interreligious and Intercultural Dialogue — est une organisation intergouvernementale née de la volonté de plusieurs États (l’Espagne, l’Autriche, l’Arabie Saoudite et le Vatican comme observateur) de faire du dialogue un instrument structurant de la paix globale. Son mandat est de promouvoir l’usage du dialogue pour renforcer la compréhension, la coopération et la cohésion sociale entre personnes de différentes religions et cultures, en s’adressant tant aux responsables religieux et politiques qu’aux acteurs de la société civile.
À ses côtés, la United Religions Initiative est connue comme la plus vaste des réseaux interreligieux de terrain, avec une implantation dans plus d’une centaine de pays. Organisation à statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies, elle promeut une interconnexion des communautés — les Cooperation Circles, plus de 1200 — qui œuvrent au quotidien pour prévenir les violences motivées par la religion et construire des cultures de paix et de justice.
Le protocole signé vise à formaliser et intensifier une collaboration qui existe déjà depuis plus d’une décennie. Les deux partenaires entendent ainsi articuler leurs mandats complémentaires : le réseau global et ancré dans les communautés de URI et la capacité de KAICIID à travailler avec des décideurs politiques et religieux à haut niveau.
Aux yeux d’Eric Roux, président du Global Council de URI, ce partenariat est autant stratégique que porteur d’espoir. Il lie la sagesse des pratiques locales à l’influence des instances internationales, jetant un pont entre les acteurs engagés dans les réalités quotidiennes de la coexistence religieuse et ceux investis des responsabilités politiques et institutionnelles.
De son côté, l’ambassadeur António de Almeida-Ribeiro, secrétaire général par intérim du KAICIID, a souligné que ce MoU inaugurait une « nouvelle phase de collaboration » dans le champ du dialogue interreligieux, appelant à développer des actions communes plus profondes et structurées à l’avenir.
Le texte ne se limite pas à une portée symbolique. Il ouvre des perspectives concrètes : des programmes conjoints de formation, des initiatives de renforcement des capacités pour contrer les discours de haine, des événements coorganisés et un engagement renouvelé auprès de publics variés — jeunes, femmes, responsables religieux et leaders communautaires. L’ambition affichée est de démultiplier l’impact des dialogues interculturels face aux défis mondiaux actuels.
En contemplant l’alliance ainsi scellée, on mesure combien le besoin de coopération interreligieuse ne relève plus d’une utopie marginale, mais d’une stratégie devenue indispensable pour répondre aux fractures sociales et politiques du début du XXIᵉ siècle. En réunissant réseaux de terrain et plateformes institutionnelles, URI et le KAICIID cherchent à inscrire la pratique du dialogue non seulement dans la sphère des intentions, mais dans celle des actions coordonnées à l’échelle planétaire.
Depuis plusieurs décennies, les initiatives de dialogue oscillent entre deux pôles. D’un côté, des organisations de terrain, souvent portées par des acteurs religieux ou communautaires, capables d’agir au plus près des réalités locales, mais disposant de peu de leviers institutionnels. De l’autre, des structures internationales dotées d’une reconnaissance politique, mais parfois éloignées des dynamiques concrètes de coexistence. L’alliance entre URI et le KAICIID met précisément en tension ces deux dimensions, en cherchant à les articuler plutôt qu’à les opposer.
URI incarne une forme de « diplomatie religieuse par le bas », fondée sur des réseaux horizontaux et une action décentralisée. Ses Cooperation Circles traduisent une vision pragmatique du dialogue : celui-ci n’est pas d’abord un espace théologique, mais un outil pour prévenir la violence, restaurer la confiance et construire des relations durables entre communautés. À l’inverse, le KAICIID représente une tentative de reconnaissance institutionnelle du dialogue interreligieux comme instrument de gouvernance globale, capable d’interagir avec des États, des organisations internationales et des responsables religieux de haut rang.
Le MoU signé entre les deux institutions suggère une convergence stratégique : reconnaître que la crédibilité du dialogue dépend désormais de sa capacité à produire des effets mesurables, sans pour autant se réduire à une logique technocratique. La formation conjointe, la lutte contre les discours de haine et l’implication de publics spécifiques – femmes, jeunes, leaders religieux – témoignent d’une volonté de dépasser le dialogue déclaratif pour entrer dans une logique d’impact.
Ce MoU apparaît ainsi, pour les observateurs du fait religieux, comme un signe tangible de convergence : la reconnaissance collective que le dialogue interreligieux et interculturel constitue un levier essentiel pour penser la paix non comme un idéal abstrait, mais comme une pratique durable et partagée.
