Depuis la fin de l’année 2025, une nouvelle étape s’est ouverte dans le long débat belge sur les signes religieux visibles à l’école : l’association des mosquées de Gand (Vereniging van Gentse Moskeeën, VGM) a saisi le Conseil d’État de Belgique afin d’obtenir l’annulation d’une décision provinciale réintroduisant l’interdiction du port du voile islamique dans les écoles secondaires relevant de la province de Flandre orientale à partir de la rentrée 2026-2027.
La mesure en cause s’inscrit dans une politique dite de neutralité philosophique adoptée par le gouvernement provincial de Flandre orientale. Elle vise à interdire aux élèves le port de signes religieux ostensibles, dont le foulard islamique, dans les sept établissements scolaires placés sous sa tutelle. Cette interdiction a été adoptée à nouveau en décembre 2025 après qu’une première tentative au printemps avait été annulée en juillet par la ministre flamande de l’Intérieur pour des raisons de procédure, notamment un défaut de consultation des conseils d’établissement.
L’appel déposé par la VGM critique précisément le respect des règles de procédure prévues par le droit belge. L’association, qui fédère une vingtaine de mosquées à Gand, soutient que le décret sur la participation, censé garantir la consultation des parties prenantes avant l’adoption de telles mesures, n’a pas été correctement appliqué. Des enseignants cités par le VGM affirment avoir parlé sous anonymat « par crainte de sanctions », suggérant que des consultations ont été insuffisantes ou superficielles.
Au-delà des questions procédurales, la VGM présente l’interdiction comme révélatrice d’un climat social plus large qui, selon elle, entrave la liberté d’expression et la liberté religieuse des femmes musulmanes. Dans sa communication, l’association dénonce un « changement inquiétant des limites du débat démocratique », notamment lorsque les détracteurs de l’interdiction présentent l’opposition à la mesure comme potentiellement extrémiste.
Le débat politique autour de cette mesure est étroitement lié à l’accord de coalition qui gouverne depuis 2024 la province de Flandre orientale, impliquant notamment les partis N-VA, CD&V et Vooruit. Les autorités provinciales, représentées notamment par le premier adjoint Kurt Moens, ont affirmé que les procédures avaient été suivies et que le vote au conseil provincial, qui a recueilli une large majorité, était « transparent et démocratique ». Ils insistent sur la nécessité d’une politique de neutralité dans l’enseignement public.
Cette affaire s’inscrit dans une histoire juridique belge complexe autour de la neutralité religieuse dans l’enseignement. Elle intervient alors que, dans le passé récent, des politiques similaires ont fait l’objet de contestations devant différentes juridictions. En Flandre, des décisions administratives ou réglementaires liées au port de signes religieux ont déjà été débattues devant le Conseil d’État ou d’autres instances, autour de questions de liberté de religion et d’égalité de traitement des élèves et du personnel.
Sur un plan plus large, la question du port de signes religieux dans des contextes éducatifs publics est également débattue au niveau européen. La Cour européenne des droits de l’Homme a rendu des décisions affirmant que des restrictions générales sur le port de signes religieux visibles dans les écoles publiques ne constituent pas nécessairement une violation de la liberté de religion au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme, à condition que ces restrictions entrent dans le cadre de la marge d’appréciation des États en matière de neutralité*.
En parallèle, d’autres juridictions nationales ou européennes ont pris des positions nuancées sur des questions connexes : la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que des administrations publiques peuvent imposer des règles de neutralité à leurs employés, y compris des interdictions générales de signes religieux, pourvu qu’elles soient appliquées de manière non discriminatoire et proportionnée.
L’appel de la VGM devant le Conseil d’État belge marque donc un point fort dans une série de contestations juridiques et politiques autour du statut des signes religieux visibles dans les institutions publiques. Le sort de l’interdiction en Flandre orientale sera désormais tranché par la plus haute juridiction administrative du pays, qui devra trancher tant sur la légalité formelle de la décision provinciale que, indirectement, sur sa compatibilité avec les principes constitutionnels de liberté religieuse et d’égalité protégés par le droit belge et européen.
*La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie à de nombreuses reprises de litiges relatifs au port de signes religieux, en particulier islamiques, dans l’enseignement public. Dans sa jurisprudence, la Cour n’a pas consacré un droit absolu à porter des signes religieux visibles à l’école, mais elle a reconnu aux États une large « marge d’appréciation » pour organiser la neutralité de leurs systèmes éducatifs. Dans des arrêts de référence comme Leyla Şahin c. Turquie (2005) ou Dogru c. France et Kervanci c. France (2008), la CEDH a jugé que des interdictions du port du foulard dans des établissements publics pouvaient être compatibles avec l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, à condition qu’elles poursuivent un objectif légitime — tel que la protection de la laïcité, de l’ordre public ou des droits d’autrui — et qu’elles soient prévues par la loi et proportionnées. La Cour souligne toutefois que ces restrictions doivent s’inscrire dans un cadre cohérent et non arbitraire, et qu’elles ne sauraient viser implicitement une religion ou un groupe déterminé, rappelant ainsi que la liberté de religion demeure un droit fondamental, même lorsqu’elle peut faire l’objet de limitations dans le contexte scolaire.