C’est un geste lourd de symboles et de longue mémoire que le roi Charles III s’apprête à accomplir au cœur du Saint-Siège les 22 et 23 octobre 2025 : pour la première fois depuis la rupture entre l’Église d’Angleterre et l’Église catholique romaine, un monarque britannique priera aux côtés du pape Léon XIV dans la chapelle Sixtine.
La visite — officiellement qualifiée d’« historique » par les deux parties — se présente comme un jalon dans le dialogue œcuménique qui, depuis le XXᵉ siècle, cherche à rapprocher les Églises séparées après la Réforme. Ce déplacement d’un chef d’État, également gouverneur suprême de l’Église anglicane, s’inscrit dans une double logique : d’une part diplomatique, d’autre part spirituelle. Elle intervient à l’occasion de l’année jubilaire de l’Église catholique, et met en scène deux thèmes : l’unité chrétienne et la « charge de la création », c’est-à-dire la responsabilité à l’égard de la nature.
Le service œcuménique prévu le 23 octobre à midi dans la chapelle Sixtine se veut hautement symbolique. Il réunira des chœurs anglicans — la Chapel Royal de St James’s Palace et la chorale de la chapelle de St George à Windsor — avec le chœur de la Sixtine, autour d’un hymne d’Ambroise de Milan en traduction anglaise issue de John Henry Newman, lui-même passé de l’anglicanisme au catholicisme et canonisé en 2019.
Dans l’après-midi, le roi se rendra à la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, où il recevra le titre de « Royal Confrater ». Une chaise décorée de ses armes sera placée de façon permanente pour lui et ses successeurs dans cette basilique, symbole tangible de « communion ».
Pour autant, cette visite ne marque pas la fin des divergences : les deux Églises restent en désaccord sur des questions majeures, notamment l’ordination des femmes — l’Église catholique ne les reconnaissant pas — et, pour les anglicans, la reconnaissance des ordres sacrés.
Sur le plan historique, l’événement renoue avec des siècles de tension. En 1534, le roi Henri VIII rompt avec Rome et établit l’Église d’Angleterre, marquant une séparation durable. Depuis, les relations entre anglicans et catholiques ont souvent été marquées par la méfiance et l’incompréhension. Cette visite veut incarner un moment de rapprochement sans pour autant effacer les racines du différend.
L’intérêt symbolique de ce déplacement va au-delà du simple geste diplomatique. Il envoie un message aux fidèles des deux traditions : celui d’une volonté d’ouverture et de reconnaissance mutuelle, tout en soulignant que l’unité ne signifie pas uniformité. En choisissant comme thème la prise en charge de la création, les deux protagonistes inscrivent leur démarche dans un horizon commun de responsabilité : « tout est lié », pour employer une expression chère au pontificat précédent.
Du côté britannique, la visite s’inscrit dans la continuité d’un engagement du roi en faveur du dialogue interreligieux et de l’écologie. Du côté du Vatican, elle illustre l’ouverture œcuménique poursuivie depuis le concile Vatican II, tout en affirmant que la recherche de l’unité reste un chemin, non un aboutissement immédiat.
En définitive, cet épisode — certes chargé de solennité et d’un faste protocolaire — pourrait être davantage qu’un simple geste de proximité. Il pourrait servir de repère pour la future relation entre anglicans et catholiques : non pas une fusion institutionnelle, mais une communion de plus en plus visible, tout en respectant la richesse et la singularité de chaque tradition. Le rendez-vous de Rome, au creux de la chapelle Sixtine, pourrait devenir l’un de ces moments dont l’histoire de l’Église se souvient comme points de bascule.