Un nouveau texte législatif entré en vigueur récemment en Iran étend de manière substantielle les pouvoirs des autorités pour réprimer des actes jusqu’ici considérés comme relevant de la liberté religieuse ou civique. La loi, adoptée par le parlement iranien puis validée par le conseil des gardiens des lois, est officiellement intitulée « Intensification de la Punition pour l’Espionnage et la Coopération avec le Régime sioniste et les États hostiles contre la sécurité nationale et les intérêts ». Elle confère aux procureurs une latitude accrue pour poursuivre des individus, notamment des membres de la communauté bahá’íe, sur la base d’infractions formulées en des termes extrêmement vagues.
Selon les dispositions de cette loi, « toute aide directe ou indirecte qui conduit à la légitimation du régime sioniste » peut être châtiée par la peine de mort ou de longues peines de prison. Dans la pratique, des activités ordinaires comme un échange en ligne, un message, ou un lien spirituel externe sont désormais susceptibles d’être qualifiées comme « coopération avec des États hostiles ». Cette formulation large permet aux autorités de qualifier de criminalité la simple appartenance religieuse ou les relations confessionnelles internationales. En particulier, la communauté bahá’íe d’Iran — forte d’environ 300 000 personnes selon des estimations de 2020 — apparaît comme la cible principale de ce dispositif, compte tenu de son lien historique avec le centre mondial bahá’í à Haïfa, en Israël.
L’article 2 du texte précise que ce type d’« assistance » est passible de la peine capitale ou de l’emprisonnement prolongé. D’autres articles aggravent les garanties judiciaires : l’article 8 fixe un délai de cinq jours pour l’enquête et le jugement dans les affaires capitales, sans possibilité effective d’appel dans la majorité des cas, tandis que l’article 9 autorise l’application rétroactive de la loi, c’est-à-dire la condamnation pour des faits antérieurs à son adoption. Ces dispositions compromettent gravement les principes internationaux de droit pénal, tels que l’interdiction de la rétroactivité ou le droit à un procès équitable.
Cette loi intervient dans un contexte politique et sécuritaire chargé. Elle fait suite à un conflit armé de douze jours entre l’Iran et Israël, période durant laquelle Téhéran a sans doute ressenti la nécessité de renforcer l’unité interne et de désigner des ennemis intérieurs. La communauté bahá’íe, déjà historiquement persécutée en Iran (exclusion scolaire, interdiction d’accéder à certains emplois, arrestations arbitraires), se retrouve directement exposée à un cadre juridique renforcé. Des rapports antérieurs faisaient déjà état d’opérations de police à son encontre : par exemple, une opération conduite en août 2025 à Ispahan avait entraîné des perquisitions de domiciles et l’arrestation de plusieurs bahá’íes.
Pour ces membres de confession bahá’íe, la portée de ce nouveau cadre est double : d’une part, leur appartenance est désormais susceptible d’être interprétée comme une aide à Israël (via le lien avec Haïfa) et d’autre part, tout échange extérieur ou utilisation de médias numériques peut être assimilé à une collaboration avec des « États hostiles ». Dans ces conditions, la liberté de conscience et la liberté d’information sont soumises à une répression renforcée. Les garanties procédurales sont réduites à leur minimum, rendant toute défense difficile. Le droit pénal devient un instrument de contrôle confessionnel, sous couvert de sécurité nationale.
Les rapports d’organisations de défense des libertés religieuses avaient déjà dénoncé l’Iran comme un des pays les plus répressifs pour les minorités religieuses — notamment les bahá’íes — en matière de droit à la liberté de religion ou de conviction. Ce nouveau texte juridique est considéré par de nombreux observateurs comme un tournant grave : il ne s’agit plus uniquement de discrimination ou d’entraves à l’exercice du culte, mais d’une transformation du fait religieux en motif de poursuites pénales pour « trahison » ou « collaboration ennemie ».
D’un point de vue religieux, cette affaire questionne la façon dont un État de droit peut évoluer vers un modèle dans lequel la religion devient suspecte, potentiellement criminelle, plutôt que protégée par les libertés fondamentales. Elle évoque aussi la situation d’une communauté qui, en prônant la tolérance interreligieuse et la paix, se retrouve paradoxalement cataloguée comme « ennemie de l’État ». L’enjeu dépasse la communauté bahá’íe elle-même : toute minorité religieuse ou toute personne pratiquant des formes de foi ou de lien extérieur est désormais vulnérable à l’arbitraire légal.
Il reste à observer comment la loi sera appliquée dans les mois à venir. Combien de condamnations seront prononcées, et selon quelles preuves ? Quel sort pour les institutions bahá’íes, les lieux de culte et les individus concernés ? La gravité du cadre légal force à considérer non seulement les faits individuels de persécution, mais aussi la logique d’un État qui instrumentalise la peur, la sécurité nationale et le religieux pour contrôler. Pour les défenseurs de la liberté de religion ou de conviction, cette loi marque un seuil alarmant : au-delà des mesures isolées, c’est une architecture juridique de répression qui vient d’être adoptée.
