En Estonie, une récente loi encadrant les communautés religieuses alimente un vif débat sur la liberté de culte et la sécurité nationale. Adopté mi-septembre par le Parlement, le texte impose aux organisations religieuses entretenant des liens avec des « autorités étrangères » considérées comme hostiles de modifier leurs statuts pour se conformer à la législation nationale. Faute de quoi, elles risquent de perdre leur enregistrement officiel.
Le gouvernement justifie cette réforme par la nécessité de prévenir d’éventuelles ingérences, dans un contexte régional marqué par la guerre en Ukraine et les tensions persistantes avec la Russie. Officiellement, la loi s’applique à toutes les confessions. Mais elle vise, de facto, l’Église orthodoxe estonienne du Patriarcat de Moscou (EOCC), qui dépend canoniquement du patriarche Kirill à Moscou.
L’évêque Daniil de Tartu, représentant de cette Église, a exprimé sa préoccupation dans un communiqué début octobre. Selon lui, le texte menace la cohésion sociale et n’a pas fait l’objet d’une concertation préalable : « Notre Église a été mentionnée dans les débats, mais personne ne nous a consultés. » Il appelle les autorités à instaurer un dialogue et à garantir le respect des droits fondamentaux.
Le président estonien Alar Karis a, pour sa part, saisi la Cour suprême afin de contester la constitutionnalité de la loi. Il estime que certaines dispositions contreviennent à la liberté de religion et d’association, inscrites dans la Constitution. Dans sa requête, il souligne que les instruments juridiques existants suffisent déjà à prévenir les menaces contre la sécurité nationale, sans qu’il soit nécessaire d’intervenir dans la gouvernance interne des Églises.
Les partisans du texte rappellent que la mesure s’inscrit dans un contexte de vigilance accrue face à la propagande et aux réseaux d’influence russes. Pour eux, il ne s’agit pas de restreindre la liberté de culte, mais d’assurer la transparence et l’indépendance des institutions religieuses. Ses opposants, eux, redoutent une dérive administrative qui pourrait conduire à une marginalisation de certaines communautés et à une politisation du religieux.
La controverse trouve un écho au-delà des frontières estoniennes. En Ukraine, une proposition de loi similaire visant à interdire les activités de l’Église orthodoxe d’Ukraine affiliée à Moscou a suscité de vifs débats. Le métropolite Epiphane (Dumenko), primat de l’Église orthodoxe d’Ukraine reconnue par Constantinople, a récemment affirmé que la Commission de Venise avait approuvé ce projet – une déclaration non confirmée, le texte n’ayant pas été soumis officiellement à cette instance européenne.
Ces discussions illustrent une tension croissante entre la défense de la souveraineté nationale et la garantie de la liberté religieuse, dans plusieurs États d’Europe orientale. Pour l’Estonie, membre de l’Union européenne et attachée à l’État de droit, la décision à venir de la Cour suprême pourrait faire jurisprudence.
En attendant, l’Église orthodoxe estonienne du Patriarcat de Moscou continue d’assurer son culte. Ses responsables affirment vouloir coopérer avec les autorités, tout en défendant leur autonomie spirituelle. Les prochaines semaines diront si la voie du dialogue l’emportera sur la confrontation judiciaire.