Depuis sa création en 2016, le poste d’Envoyé spécial de l’Union européenne pour la liberté de religion ou de conviction (FoRB) n’a jamais bénéficié d’une continuité institutionnelle solide. Au-delà de quelques prises de fonctions symboliques, c’est surtout l’absence de volonté politique et l’instabilité du mandat qui marquent la trajectoire de cette fonction diplomatique essentielle.
Un creux institutionnel de près de dix ans
La première nomination intervint le 6 mai 2016 sous la présidence de Jean‑Claude Juncker, avec la désignation du Slovaque Ján Figeľ. Il marquera les esprits par son engagement, notamment via l’action diplomatique qui permit à Asia Bibi, chrétienne pakistanaise condamnée pour blasphème, de quitter le pays . Pourtant, cet élan ne s’inscrivit pas dans la durée. Avec la fin du mandat de la Commission Juncker, en novembre 2019, s’ouvre une longue période de vide politique qui s’étend sur trois ans, jusqu’à la nomination de Christos Stylianides en mai 2021.
Le constat est brutal : sur dix années d’existence, le poste n’a été occupé que durant cinq ans, et souvent avec des mandats de courte durée. Entre décembre 2019 et décembre 2022, la fonction demeura inactive—une période de confiance fragilisée pour la promotion d’un droit fondamental.
Mandats précaires, portefeuilles fragiles
Christos Stylianides, nommé en mai 2021, se retire rapidement pour devenir ministre grec de la gestion des crises climatiques en septembre 2021, soit après à peine quatre mois dans la fonction. Ce départ soudain révèle un problème structurel : le poste n’est guère attractif, les compétences et la mission incomplètement définies, et l’harmonisation avec le futur parcours professionnel du titulaire quasi inexistante.
Par la suite, il faudra attendre décembre 2022 pour voir le Belge Frans van Daele occuper le poste, soit six mois seulement avant les élections européennes de juin 2024. À nouveau, peu ou pas de marge de manœuvre pour mener une action diplomatique d’envergure. Le mandat se termine peu après les élections, et depuis début juin 2025, le poste est de nouveau vacant.
Pressions civiles et parlementaires ignorées
L’absence persistante d’Envoyé spécial n’est pas passée inaperçue : le Parlement européen, l’Intergroupe FoRB (Freedom of Religion or Belief, il s’agit d’un groupe de membres du Parlement Européen), des organisations comme Human Rights Without Frontiers (HRWF), Aid to the Church in Need, ou encore Christian Solidarity Worldwide ont pointé du doigt une forme de « culture de l’indifférence » de la part de la Commission européenne. Pourtant, malgré ces alertes récurrentes et les rapports de recommandations ou de résolution en 2017 et 2019, un plan politique clair ne semble pas avoir émergé .
Un manque d’attraction institutionnelle
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce désintérêt : le poste semble secondaire au sein de l’institution, avec un mandat à l’équilibre fragile entre diplomatie, aide humanitaire et dialogue interreligieux. D’après le Premier rapport européen de 2017, son action est limitée par son caractère non permanent, son coût réduit et l’absence d’appui logistique et financier suffisant .
L’absence de durée minimale garantie, un budget et un statut incertains, rendent la fonction peu engageante. Ainsi, les titulaires préfèrent ou sont appelés à d’autres postes jugés plus influents, comme Stylianides vers la protection civile en Grèce.
Conséquences : un outil diplomatique inutilisé
Dans un contexte international où les violations de liberté de religion sont catastrophiques — on pense au Nigeria, à la Chine, au Pakistan — le silence de l’UE devient un signal pernicieux. Des sources évoquaient en 2021 que « du sang est versé chaque jour simplement à cause des croyances » et qu’une réponse forte de l’Union serait urgente. Pourtant, sur le terrain diplomatique, l’UE apparaît hésitante à investir dans un instrument pourtant existant.
Regards croisés sur un vide politique
Plusieurs acteurs pointent la nécessité de changer d’approche. HRWF évoque le besoin de « volonté politique » pour non seulement nommer un Envoyé, mais renforcer le mandat, les moyens et la visibilité de la fonction . Le Parlement européen, à travers sa résolution de janvier 2019, avait recommandé un mandat pluriannuel, finançable et stable, renouvelé sur la base de rapports annuels .
Vers un nouvel élan politique ?
Le prochain exécutif européen pourrait impulser cette réforme. En clair :
- Durée garantie de 3 à 5 ans, indépendante des contours des commissions, pour assurer cohérence et suivi stratégique.
- Budget suffisant et personnel dédié : liaison avec l’EEAS, embauches, déplacements, communication.
- Ancrage institutionnel clair auprès du vice-président en charge des dialogues interreligieux, voire du SEAD (Service européen pour l’action extérieure), renforçant l’autorité de l’envoyé.
- Obligation de rapport régulier devant le Parlement : transparence, évaluation annuelle, recommandations publiques, limites à l’arbitraire politique.
Une telle réforme aurait des effets concrets : renforcer la crédibilité de l’UE dans la défense des droits fondamentaux, déployer une diplomatie proactive dans les zones de crise, favoriser le dialogue interreligieux comme facteur de paix, mais aussi répondre à la pression d’alliés comme les États‑Unis — eux-mêmes dotés d’un Ministre d’État au sein du Département d’État pour la liberté de religion — et à une opinion publique sensible aux persécutions religieuses.
L’urgence d’aligner les mots et les actes
La création d’un Envoyé spécial FoRB était louable sur le papier : instrument de sensibilisation, de mobilisation politique, de soutien concret aux victimes. Mais en trois mandats intermittents et cinq ans d’activité sur dix, l’objectif n’a pas été atteint. Le problème n’est pas institutionnel : les textes, les résolutions et les lignes directrices sont là. Le problème est politique : il manque une impulsion stratégique, un engagement budgétaire et la volonté de maintenir le poste au sommet des priorités européennes.
Si le futur exécutif entend réellement défendre la liberté religieuse, il ne lui suffira plus de nommer un Envoyé à la veille des crises. Il devra garantir autonomie, moyens et pérennité à cette fonction — pour que les principes de l’Union européenne ne demeurent pas de longues déclarations, mais deviennent des engagements durables sur le terrain.