Le gouvernement du Québec a récemment annoncé son intention de proposer, dès l’automne, une législation visant à interdire les prières dans les espaces publics – notamment dans les parcs ou sur la voie publique – une décision qui suscite déjà une vive controverse.
Ce projet, annoncé le 28 août 2025 par le ministre de la laïcité, Jean-François Roberge, intervient en réponse à la recrudescence des prières collectives spontanées, notamment lors des manifestations pro-Palestine devant la basilique Notre-Dame à Montréal.
La Canadian Civil Liberties Association (CCLA) a vivement condamné cette initiative, la qualifiant d’« inquiétante » atteinte aux libertés fondamentales : liberté de religion, d’expression, de réunion pacifique et d’association, garanties par les chartes du Québec et du Canada.
Anaïs Bussieres McNicoll, directrice du programme « Libertés fondamentales » à la CCLA, souligne que « la liberté d’exprimer ses pensées, opinions et croyances en public, y compris par la prière, est une pierre angulaire de toute société démocratique », et met en garde contre l’instauration de restrictions « irrationnelles et excessivement larges ». Harini Sivalingam, directrice du programme Égalité, ajoute que « censurer des expressions religieuses paisibles, qu’elles soient individuelles ou collectives, sous couvert de laïcité, marginalise les communautés de foi et sape les principes d’inclusion, de dignité et d’égalité ».
La CCLA s’interroge également sur un possible recours à la clause dérogatoire (section 33 de la Charte canadienne), déjà utilisée pour le controversé Bill 21, dénonçant une « tendance croissante de certains gouvernements à utiliser ce mécanisme pour violer des droits fondamentaux ».
La Canadian Constitution Foundation (CCF), organisation de défense constitutionnelle, somme aussi le gouvernement d’éviter un tel projet qui constitue selon elle « une atteinte aux droits protégés » et une manifestation d’« hostilité envers les personnes de foi ». Elle suggère plutôt d’appliquer les lois existantes, comme celles contre les blocages de rue ou les nuisances sonores, plutôt que de criminaliser la pratique de la prière en public.
Du côté religieux, l’archevêque de Montréal, Christian Lépine, s’est exprimé dans un éditorial, affirmant que vouloir interdire la prière publique, c’est presque « interdire la pensée elle-même ». Il dénonce une mesure « irréalisable » et « discriminatoire », susceptible de menacer les traditions profondément enracinées du Québec, comme les processions de la Semaine sainte ou la Fête-Dieu.
L’ensemble de cette affaire s’inscrit dans la continuité du Bill 21, adopté en 2019 et renouvelé en 2024 grâce à la clause dérogatoire, qui restreint le port de symboles religieux ostentatoires chez certains employés de l’État. Cette nouvelle mesure risquerait de raviver un débat déjà profondément ancré dans la société québécoise, celui de la laïcité, de l’identité et de l’espace public, alors que l’échéance électorale de 2026 se rapproche.
Le Monde des religions ne peut manquer de rappeler que, dans le passé, la Cour suprême du Canada a déjà jugé anticonstitutionnelle l’utilisation de prières religieuses lors des séances municipales, dans l’affaire Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville) (2015), rappelant à l’État qu’il doit rester neutre, y compris dans des formes consensuelles de spiritualité publique.
Le Québec, terre de contrastes entre laïcité affirmée et sens profond de la spiritualité collective, semble aujourd’hui en proie à une tension renouvelée. Ce projet de loi, s’il voyait le jour, pourrait réécrire la place des gestes profondément ancrés dans la conscience religieuse et communautaire.