À Marseille, le tribunal administratif a suspendu, le 11 octobre, l’exécution de l’arrêté ordonnant la fermeture provisoire de la mosquée des Bleuets pour deux mois. Le juge des référés a jugé que la mesure portait une atteinte grave à la liberté du culte et a retenu l’urgence : l’association gestionnaire se trouvait privée de son activité principale et des fidèles — notamment à mobilité réduite — risquaient d’être empêchés d’accéder à leur lieu de prière. Les éléments mis en avant par la préfecture, centrés sur des publications sur les réseaux sociaux et sur la condamnation antérieure de l’imam pour apologie du terrorisme, n’ont pas suffi à démontrer, selon le tribunal, une menace actuelle susceptible de justifier la fermeture administrative.
La mosquée, implantée dans le 13e arrondissement, est administrée par une association locale. Son responsable, Smaïn Bendjilali, dit « imam Ismaïl », avait déjà fait l’objet de controverses l’an dernier, lorsque la préfecture avait engagé une procédure administrative à son encontre. Les faits reprochés portent essentiellement sur des propos tenus dans l’espace numérique ou des prêches considérés par l’administration comme favorables à une lecture radicale de la religion. Devant le tribunal, la défense a fait valoir l’absence de preuves contemporaines d’un danger pour l’ordre public ; le juge des référés a estimé qu’en l’état la condition légale d’une fermeture administrative n’était pas remplie.
La décision du tribunal est une suspension d’exécution : elle n’enlève rien à la possibilité pour l’administration d’engager ultérieurement des voies de recours, ni à celle de renouveler une procédure si des éléments nouveaux apparaissent. Mais, sur le fond, cette affaire illustre la difficulté d’appliquer des mesures administratives fortes à des lieux de culte sans exposer l’État à des revers juridiques quand la preuve du danger effectif fait défaut.
Il convient d’être précis sur un point fréquemment évoqué dans les commentaires publics : l’autorité préfectorale mise en cause dans l’affaire des Bleuets est la même personne qui, à une date antérieure et dans une autre région, avait pris une décision administrative très médiatisée contre un établissement scolaire musulman. Il s’agit de Georges-François Leclerc. En décembre 2023, lorsqu’il était préfet de la région Hauts-de-France et préfet du Nord, il avait notifié la résiliation du « contrat d’association à l’enseignement public » liant l’État au lycée privé musulman Averroès, à Lille. Cette résiliation, prise le 7 décembre 2023, privait l’établissement de subventions publiques et avait provoqué une crise financière et pédagogique. Devant le tribunal administratif de Lille, la décision préfectorale a été annulée le 23 avril 2025 : les juges ont estimé que les manquements reprochés n’étaient pas suffisamment graves et que la procédure comportait des vices. Entre-temps, Georges-François Leclerc avait changé d’affectation : nommé ensuite préfet en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il est revenu, dans ses nouvelles fonctions, au cœur des dossiers relatifs au culte lorsqu’il a signé, le 6 octobre dernier, l’arrêté visant la mosquée des Bleuets. Autrement dit, ce n’est pas la même préfecture ni la même région qui ont instruit les deux affaires, mais bien le même haut fonctionnaire, à deux moments et dans deux administrations différentes.
Sur le plan juridique, la qualification exacte de l’acte concernant Averroès — souvent désignée sous le terme de « contrat d’association » — renvoie au régime particulier qui lie certains établissements privés à l’État pour l’enseignement : il s’agit d’un mécanisme prévu par le droit de l’éducation qui permet, sous conditions, le financement par l’État d’un établissement privé dès lors qu’il respecte le socle républicain et le programme national. La rupture de ce lien financier est un acte rare et lourd de conséquences ; elle a été jugée, dans le cas d’Averroès, insuffisamment motivée par le tribunal.
Le dossier des Bleuets se situe dans ce même champ de tensions contemporaines : la lutte contre l’islamisme radical, voulue par l’exécutif, se double d’un impératif de respect des libertés fondamentales qui reste central devant les juridictions. Les tribunes publiques et les réseaux sociaux nourrissent un débat national où l’équilibre entre sécurité et liberté de culte est sans cesse redéfini par la pratique administrative et la réponse des tribunaux.
Pour l’instant, la mosquée des Bleuets a repris ses activités. Du côté de l’association et des fidèles, la suspension est vécue comme un soulagement ; du côté de la préfecture, la possibilité d’un recours demeure. Au-delà du cas local, l’affaire pose la question des garanties que l’État doit apporter lorsqu’il met en œuvre des mesures destinées à prévenir des risques : la justice administrative rappelle, par ses décisions, que ces garanties doivent être effectives et que la preuve d’un péril concret reste, juridiquement, la condition du retrait des libertés.