L’ONU a exprimé son inquiétude face aux mesures prises par les autorités ukrainiennes contre l’Église orthodoxe ukrainienne (UOC), soupçonnée de conserver des liens avec le Patriarcat de Moscou. Dans un communiqué publié le 30 septembre 2025, un groupe d’experts indépendants estime que Kiev pourrait violer la liberté de religion et de conviction, garantie par le droit international, au nom de la sécurité nationale.
Depuis le début de la guerre en 2022, l’UOC, historiquement rattachée à Moscou mais ayant officiellement rompu avec le Patriarcat russe après l’invasion, est accusée par une partie de la société ukrainienne d’entretenir une loyauté ambiguë envers la Russie. Ce soupçon s’est traduit par une série de mesures gouvernementales. En août 2024, la loi n° 3894-IX a autorisé l’interdiction de toute organisation religieuse jugée affiliée à un « centre d’influence étranger » menaçant la sécurité de l’État. En juillet 2025, le métropolite Onufriy, primat de l’Église orthodoxe ukrainienne, a été déchu de sa citoyenneté ukrainienne.
Les experts de l’ONU dénoncent l’usage de critères « vagues et idéologiques » — notamment les notions d’« affiliation pro-russe » ou de « monde russe » — qui permettraient, selon eux, de sanctionner des croyances plutôt que des actes. Ils affirment que plusieurs communautés de l’UOC auraient été contraintes d’abandonner leurs lieux de culte au profit de l’Église orthodoxe d’Ukraine (OCU), créée en 2019 et reconnue par le Patriarcat de Constantinople.
Dans leur déclaration, les experts rappellent que l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit la liberté de religion même en période de guerre. Ils soulignent que la législation ukrainienne actuelle risque de criminaliser des affiliations religieuses légitimes, en contradiction avec les obligations internationales du pays.
Le gouvernement ukrainien défend, lui, la nécessité de ces mesures. Selon Kiev, la Russie utiliserait certaines institutions religieuses comme relais d’influence et de désinformation. Les autorités affirment que la loi vise à protéger la souveraineté spirituelle du pays, sans interdire la pratique religieuse.
Sur le terrain, la tension est palpable. Des paroisses de l’Église orthodoxe ukrainienne rapportent des pressions administratives, des retraits d’enregistrement ou des transferts forcés d’églises. Des prêtres ont été arrêtés pour « collaboration » présumée, et des journalistes couvrant la situation ont signalé des entraves. Les organisations de défense des droits humains demandent davantage de transparence et de garanties juridiques.
La question religieuse reste au cœur des fractures identitaires ukrainiennes. En 2019, la reconnaissance de l’Église orthodoxe d’Ukraine — distincte de Moscou — avait été saluée comme un acte d’indépendance nationale. Mais la coexistence entre les deux Églises s’est vite transformée en rivalité, exacerbée par la guerre.
Pour les experts de l’ONU, la situation actuelle illustre un dilemme majeur : comment un État en guerre peut-il se défendre contre l’ingérence étrangère sans porter atteinte aux libertés fondamentales ? Ils appellent Kiev à réviser sa législation, à suspendre les procédures de dissolution contre les communautés de l’Église orthodoxe ukrainienne, et à garantir que toute restriction soit justifiée, proportionnée et conforme au droit international.
En filigrane, c’est une question plus large qui se pose à l’Ukraine : comment préserver la pluralité religieuse dans un pays où la foi, la nation et la mémoire se trouvent désormais intimement mêlées à la guerre elle-même.