
Le manichéisme est une ancienne religion fondée en Perse au IIIe siècle par le prophète persan Mani. Il se développe dans un contexte religieux et culturel très riche. Mani naît vers 216 dans une famille chrétienne, dans la région de Babylone. Dès son jeune âge, il se consacre à la méditation et à l’étude des Écritures et reçoit, selon ses disciples, une vision divine qui lui révèle sa mission prophétique. Il se considère comme le dernier d’une longue lignée de messagers divins et affirme que sa révélation est universelle, destinée à unifier et à compléter les enseignements précédents, notamment ceux de Zoroastre, de Bouddha et de Jésus. La vie de Mani est marquée par des voyages à travers l’Empire perse et au-delà, où il cherche à diffuser son enseignement et à rencontrer différents courants religieux pour en intégrer les aspects essentiels dans sa doctrine. Mani rédige plusieurs textes sacrés, aujourd’hui connus par des fragments, dont le « Shabuhragan », écrit en moyen perse pour le roi sassanide Shapur Ier, ainsi que d’autres traités en syriaque (langue sémitique ancienne qui a servi de langue littéraire et liturgique pour les chrétiens des provinces orientales de l’Empire romain et de l’Empire perse) et en copte (langue issue de l’égyptien ancien) destinés à ses disciples. Il développe également un riche corpus iconographique, utilisant des images pour transmettre les idées complexes de la dualité cosmique et de la lutte entre Lumière et Ténèbres.
La doctrine manichéenne repose sur un dualisme radical : le monde est composé de deux royaumes irréductibles et éternels. Le royaume de la Lumière représente le Bien, l’esprit et la divinité, tandis que le royaume des Ténèbres incarne le Mal, la matière et la corruption. Selon Mani, la création matérielle résulte de l’emprisonnement de particules de Lumière dans le monde des Ténèbres. L’humanité, en tant que mélange de ces deux substances, porte en elle la possibilité de libérer la Lumière par la connaissance et la pratique religieuse. Le salut, dans le manichéisme, n’est pas seulement moral mais cosmique : il consiste à séparer les éléments lumineux des éléments matériels et à restaurer l’ordre initial de la Lumière. Pour atteindre cet objectif, Mani institue une communauté de disciples organisée en deux catégories : les « élus », qui mènent une vie ascétique stricte, renonçant à la violence, à la viande, au mariage et aux biens matériels, et les « auditeurs », qui soutiennent la communauté par des actions moins contraignantes et diffusent l’enseignement dans la société. Les rituels manichéens incluent des prières, des méditations, des jeûnes et l’étude des écrits sacrés, accompagnés d’une forte dimension pédagogique et symbolique destinée à comprendre la lutte cosmique.
Le manichéisme se distingue par son syncrétisme : Mani adapte et intègre des éléments du christianisme, du zoroastrisme, du bouddhisme et du gnosticisme pour créer un système religieux cohérent et universel. Par exemple, la figure du Sauveur, présente dans le christianisme, est reprise et transformée pour incarner l’action libératrice de la Lumière dans le monde matériel. De même, les concepts zoroastriens de dualité et de lutte cosmique influencent profondément l’organisation doctrinale et liturgique de la religion. Le bouddhisme, rencontré lors des voyages de Mani vers l’Inde, inspire certaines pratiques méditatives et ascétiques, tandis que le gnosticisme contribue à la vision de la connaissance salvatrice comme voie de libération de l’âme.
La diffusion du manichéisme est rapide et extensive. À l’intérieur de l’Empire sassanide, il bénéficie d’une reconnaissance initiale, mais il est rapidement perçu comme une menace par les autorités religieuses et politiques traditionnelles, entraînant des persécutions. Néanmoins, le manichéisme se répand vers l’ouest dans l’Empire romain, où il rencontre des communautés chrétiennes et gnostiques, et vers l’est, à travers l’Asie centrale jusqu’en Chine, où il est accepté et toléré par la dynastie Tang sous le nom de « lumière pure » ou « religion lumineuse ». Dans ces différentes régions, le manichéisme s’adapte aux cultures locales tout en conservant son noyau doctrinal. Il influence des courants religieux locaux et se transmet par des réseaux de commerçants, de missionnaires et de communautés monastiques, formant un réseau religieux transcontinental impressionnant pour l’époque.
Le manichéisme subit néanmoins de fortes persécutions, tant dans l’Empire romain que dans l’Empire perse. Les autorités chrétiennes le considèrent comme une hérésie, tandis que les dirigeants sassanides le voient comme un défi à la religion officielle et à la légitimité politique. Mani lui-même est arrêté et meurt en prison vers 276. Malgré la disparition de sa figure et la destruction progressive de ses communautés organisées, le manichéisme continue de survivre à travers des disciples et des influences indirectes, notamment dans le monde médiéval européen et dans certaines traditions chrétiennes et gnostiques, où des éléments de son dualisme et de sa morale ascétique réapparaissent.
Le manichéisme a laissé un héritage intellectuel et culturel durable. Ses notions de dualisme, de lutte cosmique et de libération de l’âme ont influencé la pensée médiévale, y compris dans le christianisme, le judaïsme et le soufisme. Des écrivains et philosophes médiévaux, comme Augustin d’Hippone, ont été confrontés au manichéisme et en ont discuté, contribuant à la formation de la théologie occidentale. Dans les arts et la littérature, les images manichéennes et les thèmes de la lumière et des ténèbres inspirent des représentations symboliques et narratives pendant des siècles.