Un procès sensible s’est ouvert le 24 octobre 2025 devant le tribunal correctionnel de Nice, où cinq fonctionnaires de la Police nationale, âgés de 30 à 48 ans, comparaissent pour « violences aggravées » et « injures non publiques à raison de la religion ». Les faits remontent au 22 juillet, lors de l’interpellation de deux jeunes hommes d’origine tunisienne dans le quartier des Moulins, dans le cadre d’une enquête pour « offre et cession de produits stupéfiants ». C’est au cours du transport et de la garde à vue que les agissements incriminés se seraient produits.
Selon les éléments présentés à l’audience, en particulier un enregistrement audio réalisé par l’une des deux personnes interpellées, les policiers auraient proféré des insultes à connotation raciste et islamophobe à l’encontre de l’un des jeunes hommes. On y entendrait notamment des propos dégradants le renvoyant à ses origines, mêlés à des bruits de coups. L’enregistrement dure plus de trente minutes et a été décrit comme un élément clé du dossier.
L’avocat de la victime, Maître Kada Sadouni, évoque des violences d’une rare gravité. Il affirme que les policiers se seraient emparés d’un exemplaire miniature du Coran que son client conservait dans sa sacoche. Ils en auraient déchiré des pages, puis les auraient introduites de force dans sa bouche. Selon ce récit, les agents se seraient ensuite essuyés les chaussures avec le livre sacré, et auraient suggéré de le brûler. Ces actes, s’ils sont reconnus, constitueraient non seulement une atteinte à la dignité humaine, mais aussi une profanation d’un symbole religieux fondamental pour les musulmans.
Les cinq policiers ont été interpellés le 16 septembre par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), puis placés en garde à vue avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire, assorti d’une interdiction provisoire d’exercer. Le parquet de Nice, représenté par le procureur Damien Martinelli, a requis des peines de 12 à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, ainsi qu’une interdiction définitive d’exercer dans la police nationale pour chacun d’eux.
L’affaire a suscité une vive réaction de la Ligue des droits de l’Homme, qui dénonce des « humiliations, insultes et violences à caractère racistes et islamophobes ». Elle s’inscrit pour l’association dans un contexte préoccupant de répétition d’incidents impliquant des fonctionnaires de police et mettant en cause des jeunes hommes identifiés comme musulmans ou originaires d’Afrique du Nord. La LDH insiste sur l’urgence d’un débat de fond sur les pratiques policières et sur l’efficacité des mécanismes de contrôle interne.
Le jeune homme se constitue partie civile dans ce dossier. Il est incarcéré dans un autre dossier de droit commun, mais ses avocats ont pu relayer ses déclarations et demander que son enregistrement soit pleinement pris en compte. Ils insistent sur la dimension religieuse de l’atteinte, décrivant un acte destiné à humilier en profanant un objet sacré. Ils disent également éprouver des doutes quant à la possibilité pour les victimes d’obtenir justice face à des agents en fonction, dans un système qu’ils estiment insuffisamment transparent.
La défense des cinq policiers conteste les accusations. Leurs avocats pointent notamment l’absence de preuve visuelle des violences alléguées et remettent en question la fiabilité de l’enregistrement, dont ils évoquent les conditions de réalisation et la possibilité d’un montage ou d’une interprétation partielle. Ils mettent en avant la présomption d’innocence et soulignent le contexte d’une interpellation dans un quartier sensible marqué par le trafic de stupéfiants.
Pour des organisations de défense des droits humains, la combinaison de violences physiques et d’insultes à caractère raciste ou islamophobe nourrit un sentiment d’abandon ou d’hostilité chez de nombreux jeunes issus de l’immigration. Les gestes visant un livre sacré accentuent encore la portée symbolique de cette affaire, dans un contexte français marqué par des tensions autour de la place de l’islam dans la société.
Le tribunal devra se prononcer en tenant compte de la gravité des faits allégués et du caractère aggravant des mobiles racistes ou religieux. La jurisprudence montre que la reconnaissance de cette circonstance aggravante reste rare, faute de preuves jugées suffisamment matérielles. Les réquisitions du parquet, fermes et assorties d’une interdiction définitive d’exercer, traduisent toutefois la volonté de marquer la gravité des comportements reprochés, si ceux-ci sont établis.
