Le 27 mai 2025, la Cour suprême des États-Unis a rendu sa décision la plus controversée de la saison judiciaire en rejetant la requête d’Apache Stronghold, un collectif représentant des membres de la tribu San Carlos Apache, visant à suspendre l’échange de terres dans la forêt nationale de Tonto, en Arizona, au profit de la compagnie Resolution Copper. En maintenant les décisions des juridictions inférieures, la plus haute instance judiciaire américaine ouvre la voie à l’exploitation à ciel ouvert de l’un des plus vastes gisements de cuivre connus, sur un site que les Apaches considèrent comme le cœur même de leur identité spirituelle et culturelle.
Oak Flat n’est pas un simple lopin de terre : c’est un territoire où se mêlent chênes millénaires, sources sacrées et sites funéraires, creusant dans la roche le récit d’une présence apache vieille de plus de quinze siècles. Pour les Apaches occidentaux, ces « Ga’an » ou « esprits saints » reposent au creux des roches, nourrissant rites et prières, reliant l’homme à la terre et à ses ancêtres. La destruction programmée de ce sanctuaire équivaudrait, dans l’imaginaire religieux apache, à la disparition de la voûte céleste ; l’extraction de 40 milliards de livres de cuivre, estimée par le service forestier, ne représente pas seulement un déluge de particules toxiques, mais l’éradication du sacré.
L’origine de ce conflit remonte à 2014, lorsque le Congrès a adopté le Southeast Arizona Land Exchange and Conservation Act, autorisant l’échange de 9,7 km² de forêt publique contre huit parcelles privées du consortium minier Resolution Copper, filiale de Rio Tinto et BHP. Cette loi, présentée par le représentant Paul Gosar puis réintroduite à plusieurs reprises — notamment sous la forme du « Save Oak Flat Act » —, officialise un transfert de propriété sans considération suffisante pour les traités historiques de 1852 ni pour la consultation préalable des tribus concernées. L’administration Trump avait alors validé l’évaluation environnementale, avant que l’administration Biden n’ordonne une révision partielle, sans toutefois enrayer la mécanique judiciaire enclenchée.
Apache Stronghold porta l’affaire devant deux juridictions fédérales : le tribunal de district de l’Arizona, puis la Cour d’appel du 9ᵉ circuit. Dans les deux cas, la majorité s’en tint à une interprétation rigide du First Amendment et de la Religious Freedom Restoration Act (RFRA), jugeant que l’échange foncier n’imposait pas aux Apaches une « charge substantielle » sur leur culte. En mars 2024, la décision en banc du 9ᵉ circuit fut adoptée à 6 voix contre 5, les juges dissidents dénonçant une « erreur tragique » susceptible d’« anéantir Oak Flat » et de priver à jamais les Apaches de leur libre exercice religieux. Une suspension temporaire imposée par un juge de district en mai 2025 ne dura que le temps d’attendre le verdict de la Cour suprême.
Sans motif d’explication détaillée, les neuf juges ont rejeté la demande de certiorari, laissant subsister l’autorisation d’exploiter le gisement. Dans son opinion dissidente, le juge Neil Gorsuch, rejoint par Clarence Thomas, ne mâcha pas ses mots : ce refus d’examiner la requête constitue un « grave renoncement », une « trahison » de la protection juridique attestée jusqu’alors envers les sites sacrés et leur valeur religieuse. Gorsuch rappelle que, pendant des décennies, l’exécutif et le législatif ont reconnu l’importance spirituelle d’Oak Flat, jusqu’à considérer l’interdiction de son défrichement comme un devoir moral et constitutionnel.
La RFRA, adoptée en 1993, impose aux autorités fédérales de ne pas prendre de mesures qui « entament substantiellement » l’exercice d’une religion sans justification impérative et sans recours au moindre moyen coercitif ou restrictif. Or, le cas présent illustre une application défigurée de ce principe : la vente pure et simple d’un sanctuaire à des intérêts privés, sans alternative de site, sans études d’impact culturel sérieuses, et sans véritable dialogue avec les gardiens traditionnels des lieux. Les défenseurs du projet, estimant l’exploitation indispensable à la « sécurité énergétique » des États-Unis, préfèrent un discours de progrès technique à la reconnaissance d’un droit religieux fondamental, révélant un déséquilibre systémique au profit du capital extractif.
Au-delà de la dimension spirituelle, c’est tout un biome et un itinéraire culturel qui s’apprêtent à disparaître. La création d’une cavité géante, profonde de plusieurs centaines de mètres, modifiera la nappe phréatique et anéantira les espèces endémiques protégées, parmi lesquelles plusieurs plantes médicinales utilisées depuis des siècles dans les cérémonies apache. Cette atteinte irréversible engage la responsabilité morale des institutions, censées préserver la création et garantir un héritage commun à toutes les générations.
Les arguments en faveur du projet évoquent souvent la création de milliers d’emplois et un retour économique annuel estimé à un milliard de dollars pour l’Arizona. Pourtant, cet impératif de croissance charrie une vision utilitariste qui met la sacralité en concurrence directe avec la valeur marchande. Dans un monde où l’on célèbre la « transition écologique » et la « justice sociale », comment justifier que l’on piétine les droits d’une minorité religieuse pour extraire un métal stratégique ? Le découplage entre économie et éthique apparaît ici dans toute sa violence, au détriment des plus fragiles.
Malgré la décision, Apache Stronghold ne jette pas l’éponge et envisage d’engager des initiatives législatives, en soutenant la réintroduction du Save Oak Flat Act, qui viserait à annuler rétroactivement l’échange de terres et à inscrire Oak Flat au registre fédéral des sites historiques et culturels protégés. Par ailleurs, des mobilisations citoyennes et interreligieuses se multiplient, soulignant que la défense du sacré transcende les frontières confessionnelles. Des voix chrétiennes, bouddhistes ou musulmanes s’associent à la cause, rappelant que le respect de la « terre » est un principe partagé par les grandes traditions spirituelles.