Alors qu’Israël s’apprête à accueillir une nouvelle année scolaire, une enquête réalisée en juillet 2025 par Midgam pour le Centre pour une société partagée (Givat Haviva), portant sur des parents juifs (303 individus, marge d’erreur maximale 5,7 %) et arabes (200 individus, marge d’erreur 7,0 %) révèle un panorama contrasté, mêlant conservatismes identitaires et aspirations démocratiques partagées.
Les chiffres frappent d’abord par leur amplitude. Seuls 45 % des parents religieux juifs jugent important que leurs enfants apprennent l’arabe, contre 70 % des laïcs, 58 % des traditionnels, et une fuite encore plus nette des Haredim (ultra-orthodoxes), avec seulement 5 % y étant favorables. L’aversion à la mixité va au-delà de l’apprentissage linguistique : la dissociation se retrouve aussi dans les refus de camps mixtes ou de la présence d’enseignants arabes dans les écoles juives religieuses.
Sur l’introduction de contenus liés à la démocratie dans l’enseignement, les disparités sont tout aussi marquées : seuls 12 % des religieux et 5 % des Haredim s’y déclarent favorables, tandis que 43 % des traditionnels et 53 % des laïcs l’acceptent. Chez les parents arabes, le soutien est net : 52,7 % des chrétiens arabes, 52,2 % des Druzes et 40,1 % des musulmans y sont favorables. Quant au renforcement de l’éducation civique et démocratique, l’adhésion culmine à 86 % chez les laïcs, puis 70 % chez les traditionnels, 54 % chez les religieux, et seulement 11 % parmi les Haredim ; chez les Arabes, 96 % des Druzes, 93,4 % des chrétiens arabes et 89,6 % des musulmans y sont favorables.
Dans le contexte global, ces résultats ne traduisent pas seulement des résistances, mais aussi des signes d’espoir. Michal Sella, directrice exécutive, met en lumière un constat éloquent : la majorité du public juif laïc et traditionnel ainsi que des Arabes soutient la démocratie, les études de langue et l’éducation mutuelle. Cette persistance dans l’ouverture est saluée comme une forme de résilience face à l’assaut des clivages.
À la même période, un sondage réalisé en janvier 2025 signalait une montée notable de la méfiance intercommunautaire : le manque de confiance a quasiment triplé chez les Juifs, passant de comportements déjà critiques en mai 2023 à une crise ouverte en 2025, avec environ 72 % des Juifs et 51 % des Arabes exprimant crainte et méfiance respectives. En parallèle, la volonté de collaborer socialement ou professionnellement a rétréci d’environ un tiers pour les activités éducatives, économiques ou universitaires. Néanmoins, Mohammad Darawshe, directeur de la stratégie, souligne la ténacité du lien social : malgré le contexte, la rue reste calme et les villes mixtes n’ont pas basculé dans le conflit violent.
Les attaques du 7 octobre 2023 ont laissé une empreinte profonde sur les mentalités. Selon Darawshe, en deux ans de guerre dans la bande de Gaza, la polarisation sociétale s’est intensifiée, amplifiant les barrières entre Juifs et Arabes en Israël et contribuant à un isolement des segments les plus religieux du public juif.
Paradoxalement, d’autres études, notamment de l’Université de Tel Aviv (Konrad Adenauer Program), identifient des signes de consolidation identitaire parmi les Arabes israéliens. En décembre 2024, 57,8 % des Arabes citoyens d’Israël affirmaient sentir que la guerre avait créé un « sentiment de destin partagé » avec les Juifs, contre seulement 51,6 % en juin 2024 et une majorité qui, à l’automne 2023, estimait que la guerre avait affaibli la solidarité (69,8 %). Ce glissement vers un sentiment de cohésion possible, bien que fragile, signale que le lien civique n’est pas circonscrit aux communautés religieuses ou culturelles, mais qu’il persiste, contre vents et violence.
D’autres indices convergent dans cette direction : chez les Arabes israéliens, on observe un désir accru d’appartenir à la société israélienne, un intérêt pour une solution à deux États, voire un engouement croissant pour la participation politique et l’identité civique locale.
Ces enquêtes dressent un tableau complexe : d’un côté, des segments juifs religieux — notamment les Haredim — s’écartent radicalement des valeurs d’ouverture, rejetant l’enseignement de l’arabe ou le contenu éducatif démocratique. De l’autre, une large tranche de la population juive non-religieuse et des Arabes manifestent un soutien ferme à la démocratie, à la compréhension mutuelle et à l’éducation pour la coexistence.