Ubuntu est une philosophie africaine enracinée dans les langues bantoues d’Afrique australe, notamment le zoulou et le xhosa. Le mot se compose du préfixe ubu- (indiquant une qualité abstraite) et de -ntu (la personne). Il peut se traduire par « humanité », mais dans un sens beaucoup plus profond que sa simple étymologie : Ubuntu signifie « je suis parce que nous sommes ». Il s’agit d’une manière de penser l’humain à travers la relation, la communauté, l’interdépendance.
Cette vision du monde affirme que l’individu n’a pas de réalité autonome sans la reconnaissance mutuelle des autres. L’identité personnelle naît dans le lien, et toute vie humaine s’épanouit à travers la solidarité, la compassion, la générosité. L’adage zoulou et xhosa umuntu ngumuntu ngabantu — « une personne est une personne à travers d’autres personnes » — en résume le cœur. On trouve des formulations comparables dans d’autres langues bantoues, comme le sotho, le tswana ou le shona.
Ubuntu n’est pas une religion en soi, mais une philosophie morale et existentielle, qui structure la vie sociale, culturelle et spirituelle de nombreuses communautés africaines. Elle se manifeste dans les rapports humains : respect des anciens, accueil des étrangers, résolution des conflits par la parole, partage des ressources, mise en valeur de l’écoute et du pardon. C’est une sagesse vécue avant d’être théorisée, souvent transmise par l’oralité, les contes, les proverbes et les rituels communautaires.
La pensée Ubuntu a été profondément mise en lumière au XXe siècle grâce à des figures majeures d’Afrique du Sud. L’archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, en a fait le fondement de son engagement pour la justice et la réconciliation. Il expliquait que, selon Ubuntu, la blessure infligée à un autre est une blessure faite à soi-même. L’autre n’est jamais un ennemi, mais un reflet de notre humanité commune. Nelson Mandela, pour sa part, voyait en Ubuntu un principe politique essentiel. Pour lui, diriger un pays ou un mouvement signifiait toujours chercher l’unité, le dialogue, le respect de la dignité de chacun.
Ubuntu a été intégré en 1993 dans le préambule de la Constitution intérimaire d’Afrique du Sud, au moment de la fin de l’apartheid. Il y était mentionné comme l’un des fondements de la transition démocratique, dans une volonté de bâtir une société fondée non sur la vengeance, mais sur la compréhension mutuelle. Il a aussi influencé les formes sud-africaines de justice réparatrice, dans lesquelles les communautés locales sont appelées à écouter les torts, à entendre les regrets, et à restaurer les relations humaines abîmées.
Au-delà du continent africain, Ubuntu a inspiré des initiatives sociales, éducatives, technologiques. Des personnalités publiques comme Oprah Winfrey ou Bono (le chanteur du groupe U2) l’ont évoqué comme une boussole morale. L’acteur Tom Cruise a aussi évoqué le concept d’« Ubuntu » lors d’un discours prononcé en février 2023 lors d’une cérémonie de remise de prix, au cours duquel il a parlé de son expérience de tournage en Afrique du Sud. Il a mis en avant la philosophie de l’Ubuntu, et a notamment déclaré « Je suis parce que nous sommes » pour exprimer sa gratitude pour le prix qu’il a reçu et pour reconnaître le soutien des autres.
Aujourd’hui, Ubuntu continue de vivre dans de nombreuses communautés rurales ou urbaines du sud de l’Afrique, mais aussi dans des projets internationaux de solidarité, de médiation, de rencontres interreligieuses ou d’éducation alternative. Dans certaines écoles d’Europe et d’Amérique latine, des enseignants s’en inspirent pour développer des pédagogies fondées sur la coopération et la parole partagée. Des programmes de développement communautaire dans les ONG et les institutions religieuses s’en réclament également.
Bien que sa forme soit simple, Ubuntu repose sur une sagesse profonde. Elle ne cherche pas à imposer une vérité, mais à faire surgir une humanité possible, à partir du lien, de la chaleur humaine, de la conscience que l’on n’existe jamais seul. Elle est une invitation à réapprendre la relation, à bâtir une vie collective qui ne sacrifie personne, où la joie de l’un rejaillit sur tous, et où la souffrance de l’un est portée ensemble.
Dans un monde parfois divisé par la compétition, la peur de l’autre ou l’individualisme, Ubuntu offre une autre voie, douce et puissante : celle de l’interdépendance reconnue, vécue, célébrée. Un mot ancien pour une urgence contemporaine.