Dans un geste à la fois symbolique et tragique, la justice qatarie a condamné à cinq ans de prison un éminent représentant de la communauté baha’ie, Remy Rowhani, président de l’Assemblée spirituelle nationale des baha’ís au Qatar. Cette décision, rendue public au cours du mois d’août 2025, s’inscrit dans une logique de répression désormais dénoncée comme systématique par plusieurs acteurs internationaux — un verdict qui marque une étape particulièrement sombre dans la lutte pour la liberté de conscience dans la péninsule.
Remy Rowhani, âgé de 71 ans et détenu depuis son arrestation en avril 2025, a été jugé coupable selon les termes de la justice qatarie de plusieurs chefs d’accusation liés à la religion. Il est notamment reproché d’avoir diffusé, via les comptes X (anciennement Twitter) et Instagram associés à la communauté baha’ie, des messages jugés comme « remettant en cause les fondements et l’enseignement de l’islam ». Ces publications, visibles selon les autorités comme une menace à l’ordre public ou aux valeurs sociales, incluraient des célébrations de fêtes nationales et religieuses qataries ainsi que des principes baha’is universels tels que la justice, l’égalité homme-femme ou encore la bienveillance. Selon Human Rights Watch et la Bahá’í International Community (BIC), ces contenus étaient strictement pacifiques et relevant de la liberté d’expression et de croyance.
Le recours à des lois relatives à la cybersurveillance et aux publications pour fonder sa décision fait également débat. Rowhani a été condamné en vertu de lois telles que l’article 259 du Code pénal — relatif au fait « de promouvoir une doctrine ou idéologie jetant le doute sur l’islam » —, ainsi que des dispositions de la loi cybernétique de 2014 et de la loi sur les publications de 1979.
Le verdict a suscité une condamnation unanime de la part de nombreuses organisations. La Bahá’í International Community, à travers sa représentante à Genève, Saba Haddad, a dénoncé “une violation grave du droit à la liberté de religion ou de croyance”, qualifiant cette condamnation d’“attaque contre Remy Rowhani, contre tous les baha’ís du Qatar et contre le principe même de liberté de conscience”. De son côté, Human Rights Watch exhorte les autorités qataries à annuler ce verdict et à libérer immédiatement Rowhani — une position reprise par plusieurs experts onusiens dans une déclaration commune publiée fin juillet 2025, dans laquelle ils mettent en lumière une discrimination persistante à l’encontre des baha’ís au Qatar.
De manière notable, la Commission américaine pour la liberté religieuse à l’international (USCIRF) — un organisme indépendant et bipartisan émanant du Congrès américain — a également pris la parole, dénonçant fermement ce qui est perçu comme l’application arbitraire de lois sur le « blasphème ». Dans une déclaration datée du 19 août 2025, la présidente de l’USCIRF, Vicky Hartzler, a affirmé que “condamner M. Rowhani pour blasphème représente une restriction alarmante à sa liberté de religion ou de croyance”. Elle pointe du doigt la contradiction entre les discours officiels de promotion de la tolérance religieuse et cette véritable pratique systématique de répression, notamment envers les baha’ís et les musulmans bohra chiites. L’USCIRF souligne des cas de non-renouvellement de visas, de destruction de cimetières baha’ís, de discrimination à l’emploi et de séparation familiale. Elle rappelle également que le curriculum national qatarien véhicule des idées religieusement intolérantes à l’égard de chrétiens, juifs, chiites et non-croyants. Enfin, elle préconise que le gouvernement américain soulève la question de la liberté religieuse à chaque occasion de dialogue bilatéral avec le Qatar.
Cette prise de position de l’USCIRF est d’autant plus à souligner qu’elle donne une portée politique occidentale au dénonciation des discriminations religieuses à l’œuvre à Doha, en écho aux préoccupations exprimées par la société civile et les institutions onusiennes.
Le contexte régional exacerbe cette affaire. Comme l’Associated Press le rappelle, les baha’ís, bien que peu nombreux, sont fréquemment persécutés dans plusieurs pays du Moyen-Orient, avec une intensité particulièrement virulente en Iran, mais également en Égypte et au Yémen. Le cas de Rowhani s’inscrit dans un éventail plus large de répression, où la seule expression non-violente d’une croyance minoritaire peut être criminalisée.
Pour la communauté baha’ie internationale, cette condamnation est lourde de conséquences humaines : la fille de Remy Rowhani, vivant en Australie, a exprimé la douleur de penser qu’en cinq ans, « mon état de santé visuel étant déjà dégradé, je ne pourrai sans doute plus le voir, même si je parviens à le revoir un jour ».
En somme, cette condamnation de Remy Rowhani dépasse le cadre juridique : elle incarne une démonstration inquiétante du potentiel des dispositifs légaux à être instrumentalisés pour museler une communauté pacifique. À l’heure où le monde observe, cette condamnation impose une exigence morale et politique : celle de défendre la liberté de conscience, partout où elle est mise en péril.