
Le 4 septembre 2025, une plainte inédite a été déposée devant le procureur de la République de Paris. L’association CAP Liberté de Conscience accuse une antenne locale de l’UNADFI, la SOFI-ADFI 94, d’avoir relayé sur son compte X des messages à caractère raciste et islamophobe. Derrière ce geste juridique se joue un débat plus profond : celui du rôle des institutions censées protéger les citoyens contre les dérives sectaires, et de la frontière fragile entre vigilance et stigmatisation.
Selon le communiqué de CAP Liberté de Conscience, les publications en cause, diffusées en juin et juillet derniers, dépassaient largement le cadre d’une alerte sur des pratiques déviantes. Elles associaient les musulmans à des terroristes bardés d’explosifs, réduisaient les femmes voilées à des « sacs-poubelles » ou encore mettaient en scène l’expulsion de familles entières hors d’Europe à coups de balai, uniquement en raison de leur couleur de peau. Pour Thierry Valle, président de l’association plaignante, il ne s’agit plus de prévention, mais d’une incitation directe à la haine raciale et religieuse. Ces propos, souligne-t-il, relèvent de l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui réprime sévèrement l’incitation à la discrimination.

Le contraste est saisissant. La SOFI-ADFI 94 appartient à l’UNADFI, une union d’associations qui bénéficie de fonds publics et qui, depuis des décennies, s’affiche comme accompagnant les familles confrontées aux dérives sectaires. La MIVILUDES, organisme interministériel chargé de coordonner la lutte contre les sectes, la reconnaît même comme interlocuteur privilégié (à la fois l’UNADFI et SOFI ADFI 94). C’est dire combien la diffusion de tels messages, en provenance d’une structure investie d’une mission publique, choque et interroge. Peut-on confier la protection des victimes à des associations qui véhiculent elles-mêmes des représentations stigmatisantes ? La question, posée par CAP Liberté de Conscience, touche à la crédibilité même de l’action publique.
Au-delà du fait divers judiciaire, cette affaire révèle un malaise plus large. Dans une société traversée par des peurs identitaires, la vigilance contre les dérives sectaires glisse parfois vers la méfiance et la stigmatisation à l’égard de certaines religions ou minorités. Le soupçon, lorsqu’il devient généralisé, perd sa valeur protectrice pour se transformer en instrument d’exclusion. Le danger est alors de confondre la lutte contre des pratiques abusives avec la dénonciation globale d’une communauté de croyants. L’histoire récente regorge de ces dérives, où la crainte du fanatisme s’est muée en rejet de l’altérité.
En portant plainte, CAP Liberté de Conscience réaffirme une ligne qu’elle défend depuis trente ans : protéger la liberté de religion et de conviction, et rappeler que la laïcité ne saurait servir de prétexte à la marginalisation des croyants. Créée en 1995, dotée d’un statut consultatif auprès des Nations unies, l’association s’est engagée à recueillir et diffuser des témoignages de violations de la liberté de conscience dans le monde entier. Des Ouïghours en Chine aux prisonniers de conscience condamnés pour apostasie, elle se veut porte-voix des minorités persécutées. Aujourd’hui, c’est sur le sol français qu’elle dit constater une atteinte aux droits fondamentaux : la diffusion d’images dégradantes visant des musulmans, des gens de couleur et des femmes voilées, relayées par une structure financée par l’État.
Cette affaire survient à un moment où la République française, confrontée aux défis du terrorisme mais aussi à la montée des crispations identitaires, peine à trouver un équilibre entre vigilance et respect. Comment protéger les individus contre des groupes réellement dangereux sans alimenter la suspicion à l’égard de millions de citoyens paisibles ? Comment préserver la cohésion nationale sans céder à la tentation de désigner des boucs émissaires ? Ces questions, éminemment politiques et spirituelles, rejoignent un débat ancien sur la place de la religion dans l’espace public. Elles rappellent aussi combien la liberté de conscience, proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, reste un principe fragile, toujours à défendre.
L’issue judiciaire de la plainte dira si les propos en cause franchissent, aux yeux des magistrats, la ligne rouge de l’incitation à la haine. Mais au-delà du verdict, l’enjeu est celui de la confiance. Les associations investies d’une mission publique doivent-elles être exemplaires ? Peuvent-elles se permettre des écarts de langage qui résonnent comme des injures collectives ? La société civile, les pouvoirs publics, les croyants eux-mêmes attendent des réponses claires. Car là où les institutions censées protéger la liberté se laissent gagner par la stigmatisation, c’est tout le pacte républicain qui se fissure.
Au cœur de ce débat, une vérité s’impose : défendre la liberté de conscience, ce n’est pas seulement protéger les minorités spirituelles contre les dérives sectaires. C’est aussi veiller à ce que la vigilance ne devienne pas synonyme de méfiance, et que la dénonciation de certaines pratiques n’ouvre pas la porte à la dévalorisation d’une foi ou d’une culture entière. En cela, la plainte de CAP Liberté de Conscience agit comme un rappel salutaire : la République ne peut tolérer que ceux qui parlent au nom de la protection se fassent, sciemment ou non, les relais de la haine.