Le Council on American-Islamic Relations (CAIR), une organisation américaine majeure de défense des droits civils et de plaidoyer pour la communauté musulmane, a déposé le 16 décembre 2025 une plainte fédérale contre le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, contestant sa décision de désigner cette organisation comme « organisation terroriste étrangère ». Cette action en justice marque une escalade significative dans un affrontement juridique et politique sur les limites de l’autorité de l’État et la liberté d’expression dans le contexte des tensions croissantes autour de l’activisme pro-palestinien aux États-Unis.
Le décret exécutif incriminé, signé par Ron DeSantis le 8 décembre 2025, qualifie non seulement le CAIR mais aussi la Muslim Brotherhood (Frères Musulmans) de « foreign terrorist organizations » (organisation terroriste étrangère). Une telle désignation n’a, à ce jour, aucune reconnaissance au niveau fédéral : ni le CAIR ni la Muslim Brotherhood ne figurent sur la liste des organisations terroristes établie par le gouvernement des États-Unis.
Selon le texte de l’ordre, les agences de l’État de Floride doivent empêcher les groupes ainsi désignés, ainsi que toute personne ou entité leur ayant apporté un « soutien matériel », de recevoir des contrats, des financements, des emplois ou d’autres privilèges de la part d’agences exécutives ou du cabinet de l’État. Le décret demande aussi au Florida Department of Law Enforcement et à la Florida Highway Patrol de « poursuivre des mesures » non précisées contre l’organisation et ses membres.
Ce mouvement de la Floride suit l’exemple d’un décret similaire signé par le gouverneur du Texas, Greg Abbott, qui a lui aussi qualifié le CAIR et la Muslim Brotherhood de « terroristes » quelques semaines plus tôt.
Le CAIR, fondé en 1994 et comptant environ 20 à 25 chapitres aux États-Unis, est surtout connu pour son rôle de représentation juridique, de sensibilisation et d’éducation autour des questions concernant les droits civils des musulmans aux États-Unis. L’organisation a été créée initialement pour lutter contre la discrimination et défendre la liberté religieuse et d’expression.
Dans sa plainte déposée devant un tribunal fédéral à Tallahassee (Floride), CAIR-Foundation et CAIR-Florida (la section locale) demandent à ce qu’un juge déclare l’ordre exécutif illégal et inconstitutionnel, et qu’il empêche son application. Dans le texte du recours, les plaignants soutiennent que seule l’autorité fédérale, en particulier le Secrétaire d’État des États-Unis, est habilitée à désigner des organisations comme terroristes conformément à la loi fédérale.
La plainte précise par ailleurs que le décret floridien n’identifie aucune accusation criminelle ou condamnation, ne repose sur aucune désignation fédérale officielle et « invoque à tort une autorité statutaire ». De plus, le recours met en évidence l’absence de mécanismes procéduraux garantissant au CAIR la possibilité de contester la désignation ou de présenter sa défense avant l’entrée en vigueur des mesures.
Le CAIR affirme que cette décision a été motivée par des positions politiques plutôt que par des motifs valides de sécurité publique : l’organisation a notamment représenté légalement des chapitres de Students for Justice in Palestine (Étudiants pour la justice en Palestine) dans des contestations de mesures étatiques visant à limiter la liberté d’expression pro-palestinienne. Selon les plaignants, cette série d’actions constitue un contexte factuel dans lequel l’ordre du gouverneur a été émis.
DeSantis lui-même a réagi à l’imminence de la plainte en déclarant qu’il accueillerait favorablement un procès, estimant que cela permettrait à l’État d’avoir « des droits de découverte pour pouvoir assigner à comparaître les relevés bancaires de CAIR ». Cette remarque a été citée par les avocats du CAIR dans le recours comme preuve d’un biais préexistant du gouverneur à l’encontre de l’organisation, argument qu’ils avancent pour démontrer que la mesure ne répond à aucun intérêt légitime de l’État mais cherche plutôt à « peser sur et dissuader l’activisme des plaignants ».
L’organisation voit dans le décret un acte sans précédent de la part d’un État fédéré qui, selon elle, porte atteinte à des droits garantis par le Premier Amendement de la Constitution américaine : la liberté d’expression, la liberté de religion et la liberté d’association. Le recours rappelle que le CAIR a longtemps assisté des individus et des groupes dans la défense de ces droits, y compris dans des affaires impliquant des discours pro-Palestine.
La Floride abrite une population musulmane estimée à environ 500 000 personnes, chiffre avancé par le CAIR, ce qui en fait un État où les enjeux civiques et religieux sont particulièrement suivis par les associations de défense des droits.
La confrontation juridique entre le CAIR et l’administration DeSantis survient dans un contexte politique national tendu, marqué par une augmentation des récits polémiques et parfois hostiles à l’égard des musulmans de la part de certains responsables politiques au niveau fédéral et étatique. Des commentateurs et défenseurs des droits civiles estiment que ces dynamiques reflètent des divisions profondes sur les questions de sécurité, de religion et de liberté d’expression aux États-Unis, et que les résultats de telles batailles judiciaires pourraient avoir des conséquences durables sur la manière dont les États-Unis équilibrent sécurité et libertés fondamentales.
