
Né le 11 février 1929, il était connu comme « le Pape de la médiation ». Jean-François Six était un prêtre pas comme les autres : Docteur en Lettres, en théologie et en sciences des religions, Jean-François Six est diplômé de l’École Pratique des Hautes Études. Ordonné prêtre en 1956 pour le diocèse de Lille, avant de rejoindre la Mission de France en 1964, il fut aussi président du Centre national de la médiation qu’il a fondé en 1988 et directeur de l’Institut de formation à la médiation.
Au-delà de la pratique de la médiation, qui lui servait de façade et de gagne-pain, Jean-François Six était un acteur influent d’un certain rapprochement entre l’Église catholique et la franc-maçonnerie.
Avec Bernard Montanier, membre influent du Grand Orient de France, il avait fondé en 1976 la revue « Brèche », « plateforme » de rencontre entre francs-maçons et catholiques. Puis en 1980, les deux hommes fondent l’association « Droits de l’homme et solidarité », elle aussi chargé de favoriser les actions communes entre cathos et franc-macs.
Six l’antisectes
Jean-François Six est un homme de réseaux. Dans les années 80 et 90, il est aussi un acteur influent, quoique de l’ombre, de la lutte contre les sectes. En 1986, à la mort de Roger Ikor, fondateur du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM), c’est avec un autre franc-maçon proche de François Mitterrand, Roger Leray (Grand-Maitre du Grand-Orient de France) qu’il s’associe pour diriger en coulisses le CCMM. Officiellement dirigé par Marie Genève jusqu’à sa reprise en 1997 par Alain Vivien, député socialiste, de nombreuses sources ont indiqué que les véritables dirigeants du CCMM de 1986 au milieu des années 90 étaient Roger Leray et Jean-François Six.
A cet époque, Jean-François Six est aussi lié à la Fondation de France, qui sous son impulsion financera l’Association pour la Défense des Famille et de l’Individu victimes des sectes (ADFI) pendant plusieurs années.
Enfin, en 1993, alors qu’il en est membre, c’est lui qui vient proposer un texte de sa propre facture sur les « sectes » à la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), texte qui, après de nombreuses tractations, sera modifié et finalement adopté par la CNCDH le 10 décembre 1993 sous le titre « Avis concernant le phénomène dit des sectes ». Cet avis, outre recommander la création d’un organisme interministériel de lutte contre les sectes (qui verra le jour sous le nom d’Observatoire des Sectes, puis de MILS, et enfin de MIVILUDES), recommande le financement des associations antisectes par l’État, financement dont on sait aujourd’hui au combien il est problématique.
Six est partout
A la tête de son Réseau « Droits de l’Homme et Solidarités », Six cofonde l’Union Nationale des Associations contre la Solitude (UNASOL), une fédération d’organismes qui luttent contre l’isolement et la solitude en France, dont il devient le coordinateur en 1982. Nombre des activités associatives menées par Jean-François Six sont financées par la Fondation de France, dont on a déjà parlé plus haut.
Six est aussi membre du Club Le Siècle, connu pour favoriser les échanges informels et les réseaux de pouvoir au sommet de la société française, dans un cadre confidentiel. Le club ne produit pas de décisions publiques mais constitue un lieu où se tissent des relations, des alliances et des discussions stratégiques entre élites. Il côtoie au Siècle des politiques comme Pierre Joxe, Alain Juppé, des journalistes comme Jean-Marie Cavada, le Directeur Général des Impôts Jean Lemierre (aujourd’hui Directeur de BNP Paribas), la Secrétaire Générale de la Défense Nationale (SGDN) Isabelle Renouard… que du beau monde.
Il crée aussi la Fédération « La Voix de l’Enfance », une fédération de 42 associations qui travaillent en France sur les problèmes de mauvais traitements, d’abus sexuels… Oui, abus sexuels. Et pourtant.
Abus sexuels, fellations forcées et viols
En février 2019, Mgr Hervé Giraud, prélat de la Mission de France avait, suite à un signalement d’abus sexuels, saisit le procureur de la République et la justice ecclésiastique. Le 17 juillet 2019, Jean-François Six a été écarté de tout ministère pastoral. Après l’ouverture d’un procès canonique à l’automne 2019 (les faits transmis au Procureur de la République étaient prescrits), une quinzaine de femmes ont signalé avoir été abusées par lui. L’abbé Six, qui les conseillait spirituellement à l’époque, était accusé d’avoir abusé de son autorité morale et spirituelle pour imposer à ces femmes, par la manipulation et l’emprise (pas mal pour un pourfendeur des sectes), des actes allant d’attouchements sexuels à des fellations et à des viols selon les cas, parfois assortis de rituels de purification.
Les abus les plus anciens remontaient à la fin des années 1950, les plus récents aux années 1990. Ces jeunes femmes lui témoignaient une confiance profonde, non seulement en raison de son statut de prêtre, mais aussi grâce à l’autorité et à l’aura qu’il dégageait en tant qu’érudit de sainte Thérèse de Lisieux et de Charles de Foucauld, respecté aussi bien au sein de l’Église que dans les cercles politiques.
À l’issue de ce procès, début 2021, le juge ecclésiastique a déclaré Jean‑François Six coupable de graves abus sexuels commis sur des personnes sous son autorité spirituelle et morale, et l’a sanctionné par son renvoi de l’état clérical.
Jean-François Six fit un ultime appel auprès du collège pour l’examen des recours de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui le 21 juin 2022 a confirmé son renvoi de l’état clérical pour abus sexuels et viols par manipulation et emprise.
En guise de conclusion
Aurait-on pu se douter ? Peut-être, quand le 5 avril 1969, Jean-François Six écrivait un article publié dans le Monde, à propos du film Théorème de Pasolini, dont il qualifiait la démonstration de rigoureuse. Dans cet écrit, Six n’hésitait pas à qualifier la révélation religieuse de viol :
« L’arrivée inattendue d’un être dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va. un être qui ne s’explique jamais sur son projet. Le mode de cette révélation ? Il s’apparente à un certain acte sexuel. Que fait le jeune homme blond ? Il vient, sans paraître y toucher, violer l’existence de chacune des cinq personnes qui nous sont présentées, il vient abuser d’eux. Ce qui signifie : lorsque quelqu’un, quel qu’il soit, employeur ou employé, est atteint par une « révélation », celle-ci se produit comme un événement inexplicable et aberrant, et elle consiste dans un véritable viol de conscience et d’existence, un subtil mais efficace abus de confiance ; ainsi procède une « révélation ». »
Jean-François Six se prenait-il pour un « révélateur » ? Ainsi fut révélée sa chute. Jean-François Six a aujourd’hui 96 ans.
