Un groupe inter-universitaire composé de neuf chercheurs et plus de cinquante étudiants – connu sous l’acronyme IDÉE – a présenté un mémoire au comité parlementaire chargé de l’étude du projet de loi 94, visant à renforcer la laïcité dans l’éducation au Québec. Loin de s’opposer aux principes de l’État laïque, ses membres en appellent à un équilibre plus inclusif, insistant sur la nécessité de promouvoir la diversité religieuse et le dialogue au sein des écoles.
Une réforme non fondée ?
Selon la professeure Marie‑Odile Magnan, le projet de loi 94 « ne repose sur aucune donnée publique justifiant un tel renforcement », ajoutant que la Loi 21, en vigueur depuis 2019, offrait déjà des garde-fous suffisants. Julie Larochelle‑Audet abonde : « Nous ne voyons pas le problème que la loi voudrait corriger », affirmant que le texte s’appuie principalement sur des données privées ou incomplètes, en particulier autour du cas de l’école Bedford à Montréal.
Les recherches relayées par IDÉE indiquent que les études scientifiques et empiriques ne démontrent aucune dégradation des résultats scolaires ni risque de prosélytisme lié au port de symboles religieux, comme le hijab, par le personnel enseignant.
Risques accrus de discrimination
Le mémoire pointe également les effets potentiellement discriminatoires de la restriction des symboles religieux : une exclusion ciblée, notamment à l’encontre des femmes musulmanes, qui pourrait miner leur sentiment d’appartenance à la société québécoise. Or, certains travaux montrent au contraire un soutien des communautés scolaires envers les enseignantes voilées et soulignent que la diversité religieuse peut favoriser l’engagement et prévenir l’isolement ou la radicalisation.
Les auteurs réclament enfin un meilleur encadrement des accommodements raisonnables — curieusement absents dans la nouvelle législation – notamment concernant les calendriers scolaires et les jours fériés, souvent alignés sur la tradition chrétienne.
Une neutralité plus ouverte
Pour IDÉE, la laïcité doit demeurer ouverte et inclusive, un outil de socialisation démocratique plutôt qu’un retranchement identitaire. En l’absence de preuves concrètes justifiant le renforcement des restrictions, les chercheurs demandent le retrait du projet de loi 94, ou du moins son repensée profonde.
Enjeux sociopolitiques : où placer le curseur ?
Le Québec entretient une longue tradition de laïcité, héritée de l’histoire de l’Église catholique dominante, et régulièrement confortée par des législations marquantes, comme le Projet de laïcité de 2013 (Charte de valeurs) ou la Loi 21 en 2019. Ces dispositions ont obtenu un soutien populaire notable, notamment perçues comme un moyen de sécuriser l’égalité hommes-femmes.
Pour autant, cette démarche d’ultra-laïcité, lorsqu’elle va au-delà d’une neutralité générale et exclut des religions minoritaires, soulève un risque d’appauvrissement social, voire de stigmatisation culturelle. L’approche dite “ouverte” soutenue par IDÉE reflète une vision plus pluraliste, en phase avec les valeurs d’un Québec diversifié et inclusif.
Verdict – Une laïcité à repenser ?
Le projet de loi 94, en quête d’une laïcité renforcée « pour tous », semble à ce jour mal étayé par des preuves empiriques. À l’inverse, les arguments pour une laïcité inclusive et respectueuse de la diversité reposent sur des études confirmant ses bienfaits pour la cohésion scolaire. Le défi repose désormais sur un équilibre délicat : comment garantir que la neutralité religieuse ne devienne pas un vecteur d’exclusion ?
Cette controverse mérite donc un débat démocratique approfondi, avec des données publiques transparentes, pour que la laïcité demeure ce qu’elle prétend être : un socle de liberté, d’égalité et de respect mutuel dans un Québec pluraliste.