Le 2 juin 2025, un tribunal de São Paulo a rendu une décision favorable à Tiago Corte de Alencar, avocat et judoka amateur, membre de l’Église adventiste du septième jour. L’affaire, d’apparence modeste – un examen de grade de judo fixé un samedi – soulève en réalité des questions juridiques majeures relatives à la conciliation entre normes institutionnelles et liberté de religion, dans un État constitutionnellement laïque.
Au cœur du litige se trouve une demande d’accommodement. Le requérant, âgé d’une trentaine d’années, observait strictement le sabbat tel que défini par sa confession : du vendredi au coucher du soleil jusqu’au samedi soir. Dans la tradition adventiste, ce temps est entièrement consacré au repos et à la spiritualité, ce qui interdit toute activité séculière, y compris sportive.
Or, la Fédération de judo de São Paulo organise systématiquement les examens techniques de passage de grade le samedi. En 2021, à la faveur des mesures sanitaires liées à la pandémie de COVID-19, une session dérogatoire avait exceptionnellement été tenue un dimanche, à laquelle Tiago avait pu participer. Mais par la suite, ses sollicitations visant à pérenniser une telle possibilité sont restées sans réponse.
Estimant que ses droits fondamentaux étaient bafoués, l’intéressé a saisi la juridiction compétente. Le fondement de son recours repose essentiellement sur l’article 5, VI de la Constitution fédérale brésilienne, qui garantit expressément la liberté de conscience et de croyance, et interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses. Le même article précise que l’exercice des cultes religieux et la protection de leurs lieux de culte et rites sont inviolables, dans les limites de l’ordre public.
Dans son argumentaire, Tiago Corte de Alencar ne remettait nullement en cause les règlements fédéraux du judo, mais demandait un aménagement raisonnable. Ce principe, bien que non explicitement formulé en ces termes dans la Constitution, a été reconnu par la jurisprudence comme inhérent à la protection effective des droits fondamentaux, notamment par la Cour suprême fédérale dans plusieurs arrêts relatifs aux sabbatistes participant à des concours publics.
Le tribunal de São Paulo a donc tranché en faveur du requérant. Il a ordonné à la Fédération de proposer une session d’examen à une date non conflictuelle avec ses convictions religieuses, et ce avant la fin de l’année 2025. La décision est fondée sur une lecture équilibrée du principe de neutralité de l’État : celui-ci n’implique pas l’effacement des particularismes religieux, mais leur reconnaissance dans un cadre pluraliste. La Fédération a, suite à ce jugement, proposé une date alternative. Par ailleurs, d’autres athlètes partageant la même observance du sabbat ont bénéficié de cet ajustement, suggérant une mise en conformité plus large.
La portée juridique de cette décision ne se limite pas à l’univers sportif. Elle confirme l’évolution d’une jurisprudence désormais bien ancrée, selon laquelle la liberté religieuse ne saurait être purement théorique. Pour être réelle, elle doit pouvoir s’exercer concrètement dans la sphère publique et institutionnelle, y compris dans les domaines régis par des régulations sectorielles rigides. Ce principe d’effectivité, cher au droit constitutionnel contemporain, oblige les autorités publiques et privées à envisager des adaptations raisonnables, pourvu qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à d’autres droits ou intérêts collectifs légitimes.
Il est à noter que le Brésil, tout en étant un État laïque, affiche un attachement fort à la reconnaissance des expressions religieuses dans la sphère publique. Le Code civil, la jurisprudence administrative, ainsi que les décisions des hautes juridictions fédérales ont progressivement balisé un cadre normatif dans lequel la protection de la liberté de religion n’est pas un simple principe déclaratoire, mais une norme contraignante.
L’affaire Corte de Alencar renvoie aussi à une autre dimension, plus sociologique : la capacité des institutions à intégrer la diversité sans compromettre leur fonctionnement. Le monde sportif, souvent structuré autour de calendriers rigides et de normes disciplinaires strictes, peut apparaître peu perméable à ce type de souplesse. Pourtant, la reconnaissance du pluralisme implique une capacité à organiser des dérogations ponctuelles dans l’intérêt de la justice et de la cohésion sociale.
Du point de vue ecclésial, cette affaire s’inscrit dans la stratégie globale de l’Église adventiste, très active dans le domaine de la défense de la liberté religieuse. Des représentants régionaux ont soutenu Tiago Corte de Alencar dans sa démarche, soulignant qu’il s’agissait non pas d’obtenir un traitement de faveur, mais de garantir le respect des droits élémentaires des croyants, dans le strict cadre des institutions républicaines.
Cette décision pourrait donc faire jurisprudence au sein d’autres fédérations sportives ou associations civiles confrontées à des demandes similaires. Elle ouvre également la voie à une réflexion plus large sur la compatibilité entre discipline collective et respect des consciences individuelles.
À travers une affaire apparemment modeste, c’est un principe fondamental qui se trouve ici rappelé : dans une société démocratique et pluraliste, la neutralité des institutions ne saurait signifier l’indifférence aux croyances, mais doit se traduire par une capacité d’ajustement, proportionnée et raisonnable, pour que chaque citoyen puisse concilier ses engagements spirituels avec sa participation à la vie collective.