Le 25 juin 2025, le tribunal du district de Preobrazhensky à Moscou a rendu un verdict lourd de sens : Ilya Vladimirovich Vasilyev, leader de la communauté bouddhiste de la capitale – anciennement informaticien et en passe de devenir moine selon la tradition Soto Zen – a été condamné à huit ans de prison pour « diffusion d’informations délibérément fausses sur l’utilisation des forces armées », une incrimination introduite dans le droit russe après le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. La peine, assortie d’une interdiction d’administrer des sites web pendant quatre ans après sa sortie, constitue à ce jour le plus long emprisonnement connu prononcé contre un dissident religieux russe s’exprimant contre la guerre.
Vasilyev, né le 9 décembre 1973, dirige le Centre Zen de Moscou depuis 2010. Il a comparu pour avoir relayé, le 25 décembre 2022, un message en anglais sur Facebook — accompagné d’une peinture illustrant une Nativité en ruine — qui dénonçait la poursuite des frappes russes sur Kherson pendant Noël, et appelait au cessez-le-feu. Il s’agissait, selon ses mots, « d’un appel purement religieux en faveur de la paix », motivé par sa conviction que « du point de vue du bouddhisme, il est mauvais que des gens meurent, spécialement de manière violente, et bon que survienne une trêve ».
Dans la salle d’audience, son avocat Gevorg Aleksanyan a souligné la disproportion de la peine : « Nous avons appelé la voix de la raison, mais il semble que le juge n’a entendu que celle du parquet ». Pourtant, le juge Valentina Lebedeva a estimé que la gravité du message, perçu comme émanant d’une idéologie religieuse hostile à l’État, méritait une sanction exemplaire selon l’article 207.3 du Code pénal. L’accusation a en effet retenu, à la fois, l’intention de tromper l’opinion publique et la motivation religieuse, porteuse de haine ou d’hostilité envers un groupe social.
Depuis son arrestation en juin 2024, Vasilyev a été maintenu en détention dans diverses prisons moscovites — Kapotnya puis Matrosskaya Tishina — dans des conditions difficiles. En février 2025, il a même été placé quinze jours en isolement pour prétendue non-conformité aux règles carcérales, puis s’est vu interdire l’accès à son courrier lorsqu’il utilisait l’expression « prisonniers politiques ». À plusieurs reprises, ses demandes de visite d’un prêtre bouddhiste ont été refusées, un déni de support spirituel contradictoire avec l’autorisation implicite d’accès à des prêtres orthodoxes.
Au-delà du cas individuel, cette affaire s’inscrit dans un cadre de répression plus large visant les voix religieuses critiques en Russie. Au moins trois condamnations à la prison, trois amendes pour infractions de nature pénale, en plus de sanctions administratives, ont été enregistrées depuis 2022 à l’encontre de représentants religieux ayant critiqué la guerre. Parmi eux, le pasteur protestant Nikolay Romanyuk encourt jusqu’à six ans de prison pour avoir préconisé la non-participation des chrétiens à la guerre, tandis qu’Edouard Charov, prédicateur indépendant en Oural, est jugé pour « décrédibilisation répétée des forces armées » et « apologie du terrorisme ».
Ce recours intensif aux instruments législatifs — lois sur la « fausse information », la « décrédibilisation », le « terrorisme » — dessine une frontière mouvante où la liberté de conscience et d’expression disparaît sous le prétendu impératif sécuritaire. La justification juridique invoquée par les autorités — évocation d’une « haine religieuse » — suscite l’interrogation : comment s’obstiner à qualifier de menace ce qui est d’abord un message de paix, relayé par des citoyens animés par leur foi ?
Par-delà les individus incriminés, c’est une communauté entière — et plus largement, le pluralisme religieux russe — qui se trouve fragilisé. Les amendements législatifs successifs de mars 2022, étendant la portée des infractions pénales au-delà des seules attaques contre l’armée, ont instauré un climat de contrôle dramatique sur les consciences et les convictions : les actions religieuses même pacifiques risquent d’être indexées comme subversives ou extrémistes.
En février 2025, Vasilyev évoquait dans ses propos sur Mediazona la dimension interculturelle de son enfermement : son compagnon de cellule, un musulman pratiquant, se lève pour la prière matinale, et il l’accompagne dans la méditation. Ils développent un dialogue intime, humaniste, humain : « Nous avons trouvé un terrain d’entente entre la philosophie islamique et bouddhiste », révélait-il, esquissant une fraternité religieuse de l’enfermement. Il reste que cette vie spirituelle est momentanément captive des murs de la prison, encadrée, contrôlée, et humaine.
Le juge Lebedeva, dans le silence de sa décision, a peut-être cru discerner un discours cultivant la haine religieuse. Mais l’élan de compassion exprimé, accompagné d’images visuelles fortes — une Nativité dans les décombres — relève d’un évangile de la paix, d’un appel à la cessation de l’offensive avant qu’un nouveau Noël ne soit englouti par la guerre.
À l’aube de l’appel déjà engagé, la peine de huit ans de prison interroge moins sur l’intention d’un homme que sur la direction que prend une société en quête d’harmonie. Le sort réservé à Ilya Vasilyev n’est pas seulement celui d’un croyant persécuté : il est en filigrane celui d’un espace public en Russie, où la relation entre foi et conviction se brouille sous le poids d’une orthodoxie politique.