Le 1er mai 2025, la République populaire de Chine a mis en œuvre ses nouvelles « Règles d’application des dispositions relatives à l’administration des activités religieuses des étrangers sur le territoire », un texte de 38 articles destiné à encadrer plus strictement la présence et l’action des missionnaires et autres acteurs religieux non ressortissants. Abordé comme une réponse à la nécessité de clarifier un cadre jusque-là jugé trop vague, ce règlement organise les modalités d’autorisation des cultes, précise les délais de traitement des dossiers et durcit les sanctions pour toute infraction. À Séoul, le Korean Church Media Association (KCMA), qui fédère responsables et médias chrétiens sud-coréens, a immédiatement sonné l’alerte, estimant que ces mesures risquaient de rendre quasi impraticables les activités d’évangélisation au sein de la population chinoise.
Dans les faits, ces nouvelles dispositions restreignent aux seuls lieux de culte dûment enregistrés et supervisés les rassemblements dirigés par des étrangers. Toute prédication publique ou distribution de matériel religieux nécessite désormais un permis spécial, et l’instruction des demandes est subordonnée à un double agrément, du bureau des affaires religieuses et du bureau des affaires civiles. Les délais maximaux d’examen, jusqu’ici laissés à l’appréciation des autorités locales, sont désormais codifiés, tandis que les contrevenants s’exposent à des amendes élevées, à l’expulsion immédiate, voire à des poursuites pénales en cas de récidive ou de diffusion jugée subversive. Cette imbrication renforcée des procédures administratives et sécuritaires s’inscrit dans la continuité d’une politique de « sinisation » des religions mise en œuvre depuis plusieurs années, qui vise à aligner toutes les pratiques spirituelles sur la ligne idéologique du Parti communiste.
Sous l’impulsion de Xi Jinping, Pékin a multiplié depuis 2017 les textes contraignants : interdiction des services religieux en ligne sans agrément officiel, obligation pour les responsables d’établissements cultuels de jurer fidélité au Parti, voire exigences de contentieux financier sur les financements étrangers. Chaque règlement renforce l’arsenal de contrôle, justifié par la lutte contre « l’infiltration étrangère » et la préservation de la stabilité interne. Selon Pékin, il s’agit de garantir la « sécurité nationale » et de répondre aux besoins spirituels d’étrangers résidant temporairement pour affaires ou tourisme, tout en évitant que les missions religieuses n’échappent à un encadrement jugé nécessaire.
Pour la KCMA, cependant, le ton et la portée de ces nouvelles règles traduisent d’abord une volonté de neutraliser l’influence chrétienne étrangère. Le révérend David Lim, président de l’association, a dénoncé une hausse « dramatique » des contraintes techniques et financières, un renforcement de la surveillance des contenus en ligne et des exigences de partenariats locaux impécunieux. De son point de vue, les procédures de demande de permis, déjà lourdes, deviennent impossibles à mener dans les délais impartis, privant de facto les missionnaires de tout véritable accès aux communautés locales. Plusieurs d’entre eux, majoritairement sud-coréens, ont déjà fait l’objet d’expulsions ou se sont vus refuser la prolongation de leur visa ces dernières années.
Au-delà du simple contentieux administratif, ce durcissement législatif révèle un enjeu diplomatique plus vaste. La Corée du Sud, où le christianisme jouit d’une forte implantation, redoute un déséquilibre dans ses relations avec Pékin : craignant que les autorités chinoises n’utilisent le prétexte de la « sécurité nationale » pour exercer des pressions à l’encontre de ses ressortissants ou de leurs partenaires locaux, Séoul suit de près l’évolution de la situation. D’autres capitales, comme Washington, désignent d’ores et déjà la Chine comme un « pays de préoccupation particulière » en matière de liberté religieuse, pointant la multiplication des lois coercitives et l’emploi massif de technologies de surveillance pour traquer les cultes non enregistrés.
Sur le terrain, les organisations missionnaires doivent maintenant redoubler d’ingéniosité pour continuer leur œuvre. Certaines misent sur la formation en ligne, hébergée sur des plateformes étrangères, afin d’échapper au contrôle des réseaux chinois ; d’autres s’appuient sur des églises de maison, moins exposées, ou développent des partenariats humanitaires qui permettent un contact indirect avec les populations. Mais l’incertitude demeure quant à la tolérance réelle des autorités qui, au-delà des textes, disposent d’un vaste appareil de renseignement et d’un Front uni résolument tourné vers l’identification de toute « activité cultuelle illégale ».
Parallèlement, des organisations internationales et des ONG telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch appellent depuis plusieurs années la communauté globale à ne pas sous-estimer l’ampleur de la « sinisation » des religions en Chine. Elles estiment que chaque nouveau règlement creuse davantage le fossé entre la liberté de conscience, reconnue par les conventions internationales, et la pratique effective des croyances sur le terrain. Au Conseil des droits de l’homme à Genève, les représentants de l’Union européenne ont régulièrement souligné l’inquiétude croissante face à la disparition de tout espace public pour les croyances non approuvées par l’État, tandis que Pékin réaffirme, invariablement, sa souveraineté absolue en la matière.
Malgré ces obstacles, les acteurs du terrain entreprennent de faire valoir leur mission sous des formes renouvelées. Certains pasteurs coréens s’investissent dans des actions sociales discrètes – aide aux personnes âgées, soutien aux migrants, secours en cas de catastrophe – en espérant que ces activités humanitaires, moins politiquement sensibles, ouvriront une porte de dialogue. D’autres misent sur des traductions locales de textes religieux, finançant des imprimeries clandestines ou des réseaux de distribution souterrains. Ceux-là savent que la ligne de partage peut sembler floue : une réunion de prière peut basculer en « activité subversive » dès lors que des agents de sécurité estiment qu’elle menace l’ordre public.
La charge symbolique de ces nouvelles règles ne doit pas masquer un fait essentiel : dans l’équation que propose Pékin, la liberté religieuse est placée sous le signe unique de la sécurité nationale. Or, pour nombre d’observateurs, cette conflation constitue une remise en cause fondamentale d’un droit qui, en démocratie, se conçoit libre de toute tutelle idéologique. Les prochains mois serviront de test pour mesurer jusqu’où les réseaux missionnaires sauront résister à la pression croissante et comment les démocraties pourront soutenir, au plan diplomatique, les communautés religieuses sous contrôle.
Au cœur de cette confrontation se joue, plus largement, une bataille d’influence : d’un côté, un État soucieux de consolider son unité idéologique et son autorité ; de l’autre, des acteurs spirituels qui voient dans le témoignage de leur foi le fondement d’un droit universel à la liberté de conscience. Ce bras de fer, désormais codifié dans un texte de 38 articles, illustre la délicate équation entre souveraineté étatique et droits fondamentaux. Et rappelle que la scène internationale ne se limite plus aux affrontements économiques et géostratégiques, mais s’étend aussi à la dimension spirituelle, où chaque règle, chaque permis, chaque contrôle peut devenir un enjeu de pouvoir.
Dans ce contexte, la vigilance des organisations internationales et la solidarité des Églises à l’échelle mondiale seront cruciales pour donner à ces missionnaires un appui moral et diplomatique. Car, là où l’ingérence est combattue au nom de la stabilité, la liberté religieuse semble imposer sa propre revendication : apparaître non pas comme un facteur de division, mais comme une composante de la diversité culturelle et de l’équilibre social. À Pékin de choisir si, demain, la religion sera un outil de cohésion ou un motif de répression accrue.