Dans la salle d’audience du tribunal de Navoi, les bancs sont restés vides. Ni journalistes indépendants, ni famille. Fariduddin Abduvokhidov, trente ans, y a pourtant vu sa vie basculer à nouveau : dix ans de prison supplémentaires, pour avoir parlé de foi avec d’autres détenus.
Déjà incarcéré depuis 2020 pour avoir échangé en ligne sur des questions religieuses, il devient l’un des nombreux musulmans visés par une politique implacable de répression des croyances indépendantes.
« Il a simplement dit que les agents de l’administration carcérale n’agissaient pas comme de bons musulmans. Un propos anodin », souffle un proche sous couvert d’anonymat. Mais en Ouzbékistan, un tel écart suffit.
Un procès sans défense
Son procès n’a duré que quelques heures. L’avocat, désigné par l’État, a lu une défense sommaire. Aucun témoin n’a été entendu. La mère de Fariduddin, faute de moyens pour payer les droits d’appel, n’a pas pu contester la décision. Le juge Bahodir Alikulov, lui, a prononcé la sentence sans sourciller.
À 550 kilomètres de sa famille, dans la prison spéciale n°17 de Qorovulbozor, Fariduddin est désormais enfermé dans des conditions sévères, privées de contacts réguliers avec l’extérieur. Les tentatives pour obtenir des informations auprès de l’administration pénitentiaire restent sans réponse.
Législation contre « l’extrémisme » en Ouzbékistan
Depuis 1998, l’Ouzbékistan dispose d’une série de lois dites anti-extrémistes. Ces textes, largement critiqués par l’ONU, permettent d’incarcérer toute personne soupçonnée de diffuser des « idées religieuses illégales » sans preuve concrète d’appel à la violence.
Une stratégie de contrôle généralisé
Fariduddin n’est pas seul. À Karshi, huit autres hommes, musulmans pratiquants, ont récemment été condamnés à de lourdes peines. Les charges ? Possession de littérature religieuse ou discussions privées sur l’Islam en dehors des cadres officiels.
« Le pouvoir craint ce qu’il ne peut pas contrôler, explique un analyste ouzbek des droits humains. L’indépendance spirituelle est perçue comme une menace politique. »
Le cas d’Alimardon Sultonov illustre cette volonté d’écrasement : placé en isolement pour avoir refusé de nettoyer des toilettes en signe de protestation, il a passé quinze jours en cellule disciplinaire sans recours.
Un système de surveillance interne
À l’intérieur des prisons, la surveillance est omniprésente. Des « agents informateurs » parmi les détenus transmettent aux autorités les propos jugés déviants. « Parler de religion, même sans animosité, est un risque permanent », raconte un ancien prisonnier aujourd’hui réfugié en Europe.
La prison de Qorovulbozor
Surnommée « le triangle noir » par les défenseurs des droits humains, la prison de Qorovulbozor est connue pour ses conditions extrêmes : accès limité aux soins, violences physiques, et punitions arbitraires contre les prisonniers considérés comme « non repentis ».
La façade réformiste de Mirziyoyev remise en cause
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Shavkat Mirziyoyev en 2016, l’Ouzbékistan tente d’afficher une image de modernisation. Mais derrière les réformes économiques, la liberté de conscience reste sévèrement entravée.
« Tant que la sécurité intérieure primera sur les droits individuels, il n’y aura pas de vrai changement », estime un rapport de Human Rights Watch.
Pour Fariduddin et tant d’autres, l’espoir d’un procès équitable ou d’une libération semble s’éloigner chaque jour davantage, noyé dans le silence bureaucratique et la peur.