
Par un matin blême, alors que l’Europe croyait encore pouvoir fermer les yeux, un document atterrit sur le bureau de Bitter Winter. Pas une révélation volée, mais une pièce d’archives, dormante dans les tiroirs officiels, et que personne, surtout pas son auteur, n’avait jamais voulu cacher. Un échange de courriels. Mais pas n’importe lesquels : entre Alexander Dvorkin, figure de proue de l’antisectarisme russe, inféodé au Kremlin et fanatique soutien de la guerre d’agression contre l’Ukraine, et la FECRIS, la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme.
Il faut remonter à 1994. La FECRIS naît à Paris, se voulant vigie face aux dérives sectaires. Elle est créée par l’association antisecte UNADFI (Union Nationale des Associations de Défense de la Famille et de l’Individu). Très vite, des organisations russes y prennent place. Parmi elles, un certain Alexandre Dvorkin, théologien de l’Église orthodoxe russe, mais surtout bras armé idéologique du régime de Poutine. En 2009, lors d’un symposium organisé à Saint-Pétersbourg — événement dont le compte rendu est toujours fièrement publié sur le site de Dvorkin — ce dernier devient vice-président de la FECRIS. Il n’est pas seul. Le ministre russe de la Justice et un juge de la Cour constitutionnelle accueillent les délégués européens, main dans la main avec ceux qu’ils prétendaient combattre : les ennemis de la liberté.
Dvorkin, dès lors, devient le visage international de la FECRIS. Et quel visage ! Pendant plus d’une décennie, il éructe ses haines contre les minorités religieuses, salit le nom de Krishna, traîne dans la boue l’Église mormone, insulte Mahomet avec une vulgarité dont seul un extrémiste impuni peut se permettre l’indécence. Il s’en prend même à la Bhagavad-Gita, qu’il qualifie de texte extrémiste, causant un incident diplomatique avec l’Inde. En Russie, il propage l’idée délirante que des « sectes » ont manipulé la Révolution orange et Maïdan. Et bien sûr, dès 2014, il applaudit l’annexion de la Crimée et la répression brutale en Ukraine.
Et pendant tout ce temps ? La FECRIS savait. Elle savait. Et elle n’a rien fait. Pire encore : elle a soutenu Dvorkin, l’a hissé aux plus hautes responsabilités, lui a offert la tribune européenne, la reconnaissance officielle, le sceau d’une légitimité qu’il a utilisée pour répandre la haine. Pendant des années, elle l’a laissé se vautrer dans l’idéologie antisecte la plus dure, la plus violente, sans jamais s’en désolidariser.
Le véritable scandale est là. Ce n’est pas seulement Dvorkin. C’est la FECRIS, qui a pactisé avec un extrémiste notoire, alors qu’elle savait pertinemment qui il était. Son soutien n’a pas été naïf, il a été complice. Et cette complicité a duré bien trop longtemps.
Lorsque, en 2022, la Russie envahit à nouveau l’Ukraine, Dvorkin reste fidèle à lui-même. Il traite les Ukrainiens de « nazis », de « satanistes ». Il relaie les pires abjections de la propagande poutinienne. RATsIRS, son réseau antisectes russe, qu’il dirige, devient un relais zélé du Kremlin. Et toujours, pas un mot de la FECRIS. Pas une condamnation. Pas même un soupir de gêne. Jusqu’au 24 mars 2023, treize mois après le début du carnage. Ce jour-là, enfin, la FECRIS décide — tardivement, mollement — d’exclure Dvorkin et ses comparses russes.

Mais la lettre n’arrive à l’intéressé que le 24 avril. Et que répond Dvorkin ? Il s’indigne. Il crie à l’injustice, accuse la FECRIS d’un racisme anti-russe. Il ose comparer son exclusion à un jugement de la « troïka » stalinienne. Un comble pour cet homme qui n’a cessé d’embrasser le totalitarisme poutinien et de piétiner les droits de l’homme. Il accuse, il invective, il pleurniche. Et surtout, il démasque ce que beaucoup savaient déjà : depuis des années, la FECRIS était devenue une coquille vide, un club d’anciens combattants déconnectés, plus préoccupés par leur confort que par leur mission.
Sa lettre, en réalité, est un réquisitoire contre ceux qui l’ont soutenu. Il accuse la FECRIS d’avoir trahi ses fondateurs — et il a raison. Car ce ne sont pas seulement ses propres excès qui choquent : c’est le silence complice, le soutien persistant, l’absence de scrupules de cette fédération qui, pendant plus d’une décennie, a choisi l’extrémisme comme partenaire.
Alors, pourquoi l’ont-ils exclu ? Par principe ? Par souci éthique ? Non. Ils l’ont fait parce que la pression devenait trop forte. Parce que l’Ukraine protestait, parce que Macron recevait des lettres d’universitaires outrés, parce que les subventions françaises risquaient de s’évaporer. Ce n’est pas la morale qui les a poussés à agir. C’est la peur de perdre leur bourse.
L’exclusion de Dvorkin, aussi tardive qu’hypocrite, ne lave pas la FECRIS de sa faute. Elle l’aggrave. Elle prouve que, loin d’avoir été dupée, elle a sciemment toléré l’intolérable. Jusqu’à ce que l’opprobre publique la force à réagir.
Albert Londres disait : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » Voilà. La plaie est béante. Et il faut la nommer. Dvorkin est un extrémiste. Mais la FECRIS ? La FECRIS est sa complice.