Le 5 juin 2025, la Première ministre danoise Mette Frederiksen a annoncé son intention d’étendre l’interdiction du voile intégral à toutes les institutions éducatives du pays. Cette mesure vise notamment le niqab et la burqa, déjà prohibés dans l’espace public depuis 2018. Selon Frederiksen, il existerait des « lacunes dans la législation » permettant selon elle un contrôle social et une oppression des femmes musulmanes au sein des écoles et universités.
Contexte de l’interdiction initiale
En 2018, le Danemark a adopté une loi interdisant le port de la burqa et du niqab dans l’ensemble des lieux publics. Cette interdiction a été justifiée par les autorités comme une mesure de sécurité et d’intégration, affirmant que le visage ne devant pas être dissimulé dans les espaces publics favorisait la cohésion sociale. Cependant, cette législation ne s’appliquait pas jusqu’à présent aux établissements scolaires et universitaires, considérés distinctement du « domaine public ». C’est sur ce point précis que la Première ministre entend porter un changement législatif, jugeant qu’un vide juridique perdure.
Les arguments de Mette Frederiksen
Interrogée par la presse intérieure, Mette Frederiksen a souligné que « vous avez le droit d’être une personne de foi et de pratiquer votre religion, mais la démocratie prévaut ». Elle considère que la présence de voiles couvrant entièrement le visage dans les lieux d’apprentissage nourrit, selon elle, un « contrôle social et une oppression des femmes » au sein des établissements éducatifs. Pour la dirigeante social-démocrate, l’école doit rester un espace de libre échange et d’émancipation, où l’individu peut pleinement s’inscrire dans un parcours de formation citoyenne.
Réactions et oppositions
Dès l’annonce de cette volonté gouvernementale, plusieurs voix se sont élevées contre cette extension du champ d’application de la loi de 2018. Parmi elles, des organisations de la société civile, dont Amnesty International, estiment que cette législation porte atteinte à la liberté vestimentaire des femmes et à leur droit de manifester leur identité ou leurs convictions par le vêtement. En 2018, Amnesty déclarait : « Toutes les femmes devraient être libres de s’habiller comme elles le souhaitent et de porter des vêtements qui expriment leur identité ou leurs croyances ». Dans ce contexte, l’extension du veto est perçue comme une nouvelle atteinte aux libertés individuelles.
Origine de la nouvelle proposition : la Commission pour la lutte des femmes oubliées
Cette annonce fait suite aux recommandations émises plus tôt en 2025 par la Commission pour la lutte des femmes oubliées (« Commission for the Forgotten Women’s Struggle »), créée par le gouvernement danois. Le mois dernier, cette commission a appelé à une action renforcée pour garantir l’égalité de droits entre les femmes d’origine migrante et les femmes danoises de souche. Plus précisément, dès 2022, elle avait suggéré d’imposer une interdiction du port du hijab dans les écoles primaires, au motif qu’un tel port, selon elle, limiterait la jouissance des mêmes droits et libertés que les autres femmes danoises. Ce premier projet de ban a toutefois suscité de vives réactions : des manifestations ont eu lieu en 2022 et la proposition a finalement été rejetée en 2023.
La question des salles de prière
Outre l’extension du veto sur les voiles couvrant le visage, Mette Frederiksen souhaite également la suppression des salles de prière au sein des universités et collèges. Elle fait valoir que ces espaces, dits « inclusifs », témoigneraient au contraire d’une forme de radicalisation ou d’une pression communautaire : « Ces salles de prière ne créent pas l’inclusivité, mais plutôt un terreau pour la discrimination et la pression », a-t-elle affirmé. La Première ministre précise néanmoins qu’elle n’appelle pas à une interdiction pure et simple ; elle souhaite lancer un dialogue avec le ministre de l’Éducation et des Enfants, Mattias Tesfaye, et la ministre de l’Enseignement supérieur, Christina Egelund, afin de trouver « une solution commune » et rappeler que « les salles de prière n’appartiennent pas à l’école ».
Enjeux et perspectives
Le débat sur le port du voile intégral et la laïcité reste particulièrement vif dans plusieurs pays européens. Au Danemark, pays historiquement attaché au modèle nordique de cohésion sociale, la question s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’intégration des minorités musulmanes et la protection des droits des femmes. Les partisans de l’extension invoquent avant tout des enjeux de sécurité et d’égalité : ils estiment qu’interdire le voile intégral à l’école contribuerait à garantir que toutes les élèves puissent bénéficier d’un cadre éducatif neutre et sans pression communautaire. À l’inverse, les détracteurs mettent en avant la liberté religieuse, considérant que le fait d’imposer un tel contrôle vestimentaire constitue une atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Constitution danoise et par les conventions internationales.
Une société tiraillée entre laïcité et liberté de conscience
En toile de fond, les récents travaux de la Commission pour la lutte des femmes oubliées témoignent d’un souhait politique de mieux répondre aux difficultés de certaines femmes issues de l’immigration. Toutefois, les modes d’action proposés, qui s’inscrivent dans une logique de restrictions vestimentaires, soulèvent la question de l’efficacité réelle de telles mesures : plusieurs observateurs craignent que l’interdiction stricte ne renforce, au contraire, le sentiment d’exclusion et ne pousse certaines femmes à s’isoler du système éducatif. Le Danemark se trouve face à un dilemme classique : comment concilier le devoir de neutralité de l’État en matière religieuse avec le respect des droits individuels ? Jusqu’à présent, l’interdiction dans l’espace public n’avait engendré ni amende spécifique pour les étudiants ni sanction pour les établissements scolaires, laissant la porte ouverte à des pratiques tolérées dans les cours de récréation et les campus universitaires.
En affirmant que « la société danoise ne peut pas se laisser gouverner par un conservatisme religieux », Mette Frederiksen place le débat sous le prisme de la primauté de la démocratie sur les pratiques culturelles jugées rétrogrades. Si la proposition venait à être approuvée par le Parlement danois, le pays entrerait dans une nouvelle phase de contrôle étatique des expressions religieuses dans l’éducation. Reste la question de l’équilibre entre le respect de la liberté de conscience et la lutte contre ce qui est perçu comme un « frein à l’émancipation féminine ». Le dossier promet de rester au cœur des tensions entre droits individuels et exigence de neutralité dans l’espace scolaire.